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religieuse et philosophique est remplie par les résurrections de ce qu’on avait pu croire un instant enseveli dans un irrévocable néant.

Sans Moïse et sans Platon, le christianisme n’existerait pas. Il est sorti de la loi promulguée par le sauveur des Hébreux, et il s’est incorporé la doctrine orientale façonnée par l’artiste athénien. Tout ce développement historique est du plus haut intérêt. Mûrie par l’action du temps, la loi de Moïse porte ses fruits, dont les germes avaient long-temps grandi avec une puissance réelle, mais secrète. Contraste merveilleux ! La nation juive enfante une doctrine et refuse de l’avouer ; et ne reconnaît pas ce qu’elle a conçu dans son propre sein. La transformation de la pensée primitive a un tel caractère de nouveauté, qu’aux yeux de ceux devant qui elle se manifeste, elle semble une destruction de la doctrine dont elle annonce toutefois n’être que le complément. Aussi des luttes terribles s’engagèrent entre la loi de Moïse et la parole de Jésus. La victoire se décida pour l’esprit nouveau prêché par saint Paul, et l’église s’éleva sur la défaite de la synagogue désertée et proscrite. Mais au sein même de la communion chrétienne il resta des traces de la doctrine vaincue. Entre le mosaïsme et le christianisme la filiation était si directe, et dans le combat l’étreinte avait été si rude, que l’esprit novateur de l’Évangile fut, au milieu même de ses triomphes, poursuivi par d’opiniâtres réminiscences de la religion juive. Vers le milieu du troisième siècle vivait à Ptolémaïs, ville de la Thébaïde, qui du temps de Strabon était la plus considérable après Memphis, Sabellius, dont malheureusement le système ne nous est qu’imparfaitement connu. Sabellius, s’il faut en croire Épiphane, avait emprunté sa doctrine à un évangile apocryphe répandu en Égypte, et dont le rédacteur s’était surtout inspiré de la théosophie juive d’Alexandrie[1]. D’après cet évangile, l’enseignement du Christ eût été double, comme celui des philosophes grecs. À la foule le Christ aurait annoncé un Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; mais aux adeptes d’élite il aurait appris que le Père, le Fils et le Saint-Esprit n’étaient que trois faces, trois applications différentes d’une souveraine unité. C’était une transformation du monothéisme de l’ancienne loi, et les pères de l’église ne s’y trompaient pas, car ils reprochaient aux sabelliens de judaïser. Le sabellianisme enseignait, autant qu’il est permis de le reconnaître à travers l’obscurité des temps, l’identité du monde

  1. Neander, Allgemeine Geschichte der christlichen Religion, erster Band, dritte Abtheilüng, S. 678, etc.