Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/816

Cette page a été validée par deux contributeurs.
812
REVUE DES DEUX MONDES.

tion, la controverse, la chicane, le sophisme, la fraude, la réponse futile, et la réduction au silence. » Cette béatitude, assez difficile à acquérir, se réduit à bien peu de chose, puisque le pandit qui possède le mieux la preuve, le doute, le motif, l’exemple, etc., ne connaît en définitive qu’un système de logique, et un système très incomplet et très défectueux. Quelles sont en effet les quatre parties fondamentales de la logique ? Les catégories, la proposition, le syllogisme et la démonstration. Pour la théorie des catégories, Gotama l’a omise tout entière ; il ne fait que mentionner la proposition, sans en distinguer les élémens, sans en indiquer les formes essentielles et principales ; il se rapproche un peu plus du syllogisme ; et le moyen de ne pas s’en rapprocher par quelque endroit, quand on traite du raisonnement ? Mais si l’on compare cet argument d’Aristote, simple, complet, avec ses trois propositions et ses trois termes, avec ses règles précises, justes, infaillibles, à ces cinq propositions de l’assertion, dans le Nyâya, où le progrès de la pensée est mal saisi et mal indiqué, où l’esprit revient sur lui-même sans nécessité et sans profit, où rien ne détermine le caractère propre du moyen terme, on sera forcé de convenir qu’il n’y a rien de commun, que le sujet, entre le Nyâya et l’Organon. Les seize topiques de Gotama sont à la vérité une sorte de théorie de la démonstration ; mais que dire d’une théorie de la démonstration où la définition est à peine indiquée ? Il faut donc conclure, avec le savant auteur de ce mémoire, que le Nyâya n’est point, à proprement parler, une logique, qu’il n’est qu’une dialectique superficielle, bien que fort ingénieuse, qui présente une théorie peu complète de la discussion, et qui n’a pas pénétré jusqu’au raisonnement, à ses principes vrais, à ses élémens essentiels. M. Barthélemy Saint-Hilaire regarde le Nyâya comme étant, selon toutes les probabilités, antérieur de plusieurs siècles à l’Organon ; mais il déclare en même temps que l’on ne peut avoir sur ce sujet que des conjectures très vagues. « Auteur inconnu, date inconnue, traditions fabuleuses, voilà, dit-il, tout ce qu’il nous est actuellement permis de savoir. » Si nous ne savons rien de l’histoire du Nyâya, sa valeur intrinsèque nous est assez connue, grace à cet excellent mémoire, pour que nous puissions décharger Aristote de tout soupçon d’imitation, et lui restituer tout entière la gloire de créateur de la logique.


V. de Mars.