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REVUE. — CHRONIQUE.

ses créanciers. S’il demande le reste de l’emprunt, c’est uniquement pour l’appliquer à des dépenses extraordinaires, indispensables au pays, à des dépenses sans lesquelles la Grèce ne serait qu’une ferme qu’on prétendrait mettre en culture sans capital suffisant. L’emploi de ces sommes sera plutôt un placement qu’une dépense.

Ces dires, ces faits, sont à vérifier avec d’autant plus de soin et d’exactitude, qu’en Grèce il y a, nous le croyons, une administration des finances régulière, sans qu’il y ait cependant un gouvernement. Tous les fils de l’administration proprement dite sont entre les mains du roi, et le roi, plein de bonnes intentions, n’oublie qu’une chose, c’est de gouverner. Il ne laisse pas gouverner et ne gouverne pas. Ses ministres sont à peine des commis et des commis qu’il ne voit guère, et cependant il ne paraît pas développer l’activité et l’énergie nécessaires pour être son propre ministre. Désirant le bien, se défiant de lui-même, il parle, il consulte, il écoute ; mais la résolution ne surgit pas, l’action est nulle. On dirait un étudiant allemand qui se complaît dans le doute. Malheureusement, les intentions les plus louables, le zèle le plus pur, perdent les états, lorsqu’on manque d’activité, de décision, d’énergie.

La Grèce se ressent de la faiblesse du pouvoir, bien plus que ne pourrait s’en ressentir un état anciennement et fortement constitué. Les partis agitent un pays qui a besoin, avant tout, d’être organisé et gouverné, et très probablement des intrigues diverses entretiennent et irritent l’impatience des partis.

Les uns, ceux dont l’esprit, plus subtil que juste, a formé un singulier amalgame des doctrines européennes et des finesses du Phanar, voudraient importer en Grèce un simulacre de constitution anglaise, et singer à Athènes le rôle des Pitt et des Castelreagh.

Les autres, impatiens de toute règle, de tout frein, toujours barbares au milieu de la civilisation renaissante de la Grèce, regrettent la puissance et l’indépendance personnelle des Klephtes : au fond, ils préfèrent la Turquie, avec ses brutalités et son laisser-aller, à l’Europe avec ses codes, ses réglemens, ses tribunaux, ses prisons.

Mais, il est juste de le reconnaître, ces deux partis ne sont pas la Grèce ; les uns rêvent une Grèce qui n’existe pas, les autres une Grèce qui heureusement n’existe plus. La Grèce doit être organisée, elle peut être gouvernée ; mais la Grèce n’est nullement préparée aux institutions des nations les plus policées de l’Europe. C’est d’ordre avant tout qu’elle a besoin, et le germe des institutions libérales qui devront peu à peu se développer en Grèce, c’est chez elle, dans ses mœurs, dans ses habitudes, dans son propre sol, qu’il le faut chercher. Renonçons une fois à cette ridicule importation de chartes étrangères chez des peuples qui ne peuvent en saisir ni le langage ni l’esprit. Bentham pouvait offrir des constitutions et des codes tout faits au monde entier : libre à un philosophe d’être quelquefois ridicule ; mais pour des hommes politiques, d’expérience, d’action, de pareilles tentatives ne seraient pas seulement absurdes, elles seraient coupables.