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Qu’arrivera-t-il si l’insurrection se maintient, si une lutte atroce se prolonge entre les chrétiens et les Turcs ? L’Europe, qui a brûlé Beyrouth pour le rendre au sultan, permettra-t-elle aux Candiotes de secouer le joug des Osmanlis ? Voudra-t-elle (elle ne l’oserait pas) lancer ses bombes sur des chrétiens, pour livrer ensuite aux Turcs les lambeaux de ces populations mutilées ? Se présentera-t-elle sur le champ de bataille comme médiatrice ? Bref, interviendra-t-elle ?

L’Europe ! nous en sommes apparemment. Nous n’avons ni approuvé ni empêché l’expédition de Syrie ; nous nous sommes isolés. Dans cette constance, nous devions nous isoler. Les suites déplorables de l’expédition prouvent assez combien notre politique était honnête et prévoyante. D’un autre côté, nous n’avions pas un intérêt suffisant pour prendre en main la cause du pacha, et troubler, pour son compte, la paix du monde. Mais si les affaires de Candie prenaient une tournure sérieuse, si les circonstances exigeaient l’intervention de l’Europe, pourrions-nous permettre cette intervention sans le concours de la France ? L’isolement ne serait alors, ce nous semble, qu’une honteuse faiblesse, qu’une abdication de la puissance française. Amis désintéressés de la Porte, nous sommes en même temps les protecteurs anciens et reconnus des chrétiens de l’Orient ; nous avons contribué au rétablissement d’un état grec ; nous avons glorieusement combattu à Navarin ; nous avons aidé la Grèce de nos troupes, de notre trésor, de notre crédit. C’est assez dire que tout ce qui pourrait modifier les rapports de la Porte avec les populations chrétiennes de son empire ne peut s’accomplir sans notre concours ; l’intégrité de l’empire ottoman et la protection de ces populations intéressent également notre dignité et notre puissance nationale. Il ne s’agirait plus de savoir si une province turque sera confiée au vassal du Caire ou directement administrée par la Porte. L’intégrité de l’empire ottoman, les conditions de l’équilibre européen, et le partage des légitimes influences que l’Europe exerce sur l’Orient, pourraient en être plus ou moins profondément altérés. L’indifférence serait stupide, l’inaction coupable.

Le ministère n’a pas négligé l’affaire de Candie. D’un côté, il avait des explications à demander sur la conduite quelque peu singulière d’un agent accrédité de l’Angleterre ; de l’autre, il avait à faire connaître sans détour que, si l’affaire de Candie devenait assez grave pour exiger une intervention, le droit d’intervenir ne pourrait appartenir à aucune des grandes puissances en particulier : ou il n’y aurait pas d’intervention, ou il y aurait sur ce point concert européen. Si nous sommes bien informés, c’est là, nous ne disons pas la teneur, mais le sens d’une communication verbale à laquelle le cabinet anglais aurait adhéré.

M. Piscatory s’est rendu en Grèce avec une mission du gouvernement. D’un côté, le gouvernement grec est en instance pour obtenir la délivrance de la dernière partie de l’emprunt. Il affirme à cet effet qu’il est parvenu, par la régularité de son administration, à ramener l’équilibre dans son budget ordinaire ; il a même commencé à rembourser les intérêts qu’on avait garantis à