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REVUE. — CHRONIQUE.

car il a, lui aussi, des priviléges et des intérêts à défendre. Il est au fond plus loin des radicaux que des conservateurs. Il joue par ambition, par emportement politique, contre lui-même. Il nous rappelle le parlement de Paris se faisant révolutionnaire en 1787.

Les conservateurs, à leur tour, ont perdu toute mesure. Sir Robert Peel lui-même, malgré le calme apparent de ses paroles, vient d’engager une lutte à mort avec le ministère. Il veut s’imposer à la couronne, ou la contraindre à faire cause commune avec les radicaux, et à appeler à son aide les passions populaires dans les combats des hustings.

Un ministère de tories modérés, faisant, dès son entrée au pouvoir, de franches et larges concessions au pays, ainsi qu’on l’a déjà vu lors de l’émancipation des catholiques, c’est là la ferme espérance de ceux qui se refusent à toute pensée d’un bouleversement politique en Angleterre. Le temps nous apprendra si les partis y ont conservé assez de sagesse et de puissance pour continuer, à travers les luttes de la politique, l’œuvre magnifique d’une révolution qui s’accomplirait peu à peu, par les voies légales, sans violence.

En attendant, notre gouvernement, sans avoir encore donné à Londres une signature qui aurait été prématurée, n’a pas, assure-t-on, perdu de vue les affaires d’Orient. Elles sont, en effet, loin d’être claires, faciles, rassurantes. La secousse qu’on a imprimée à l’empire ottoman y a produit un ébranlement qu’il était si facile de prévoir, et qui pourrait être le précurseur d’une catastrophe. Les populations chrétiennes de la Bulgarie n’ont été réprimées, dans leur légitime résistance à la tyrannie des agens turcs, que par des cruautés et des atrocités révoltantes. Les chrétiens de la Syrie en sont à regretter la domination de Méhémet-Ali. Les Turcs eux-mêmes se rappellent, avec une reconnaissance qu’exalte la détestable administration de la Porte, ces jours où l’être le plus faible, une femme, un enfant, pouvait, sans courir aucun danger, se transporter du pied du Taurus à la Mecque, ces jours où les caravanes des fidèles traversaient avec une égale sécurité les pays des tribus jadis renommées par leurs habitudes d’agression et de pillage, et les sables du désert. Méhémet-Ali est un maître dur, exigeant, égoïste ; ainsi que le sultan, il ne veut que des esclaves, mais il les veut du moins tranquilles, laborieux, soumis non au caprice, mais à une règle uniforme et connue. S’il ne conçoit pas la liberté, il conçoit l’ordre, et il le réalisait, car il en avait la volonté et la force. En expulsant Méhémet-Ali, c’est l’ordre qu’on a expulsé de la Syrie et de l’Arabie. L’Europe n’a servi en Orient que la cause de la barbarie et de la violence. Nous l’avons souvent dit ; c’était un rêve d’imaginer que la Porte pourrait ressaisir d’une main ferme ces provinces, et y faire oublier le gouvernement fort et régulier du pacha.

Il y a plus : la Thessalie s’agite, Candie est en révolte. C’est la lutte du principe grec et du principe turc, du principe chrétien et du principe mahométan, qui recommence à côté d’un royaume grec fondé et protégé par l’Europe, et lorsque les terribles échos de Navarin retentissent encore sur les côtes de l’Archipel.