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sa fabrique de tapis à longue soie. Je trouvai dans cette ville Abbas-Kouli-Khan, descendant des anciens khans de Bakou. Il me parla de la difficulté de recueillir des données historiques un peu positives sur les peuples du Caucase. Le mouvement des nations qui s’y sont succédées a été si confus, qu’il est presque impossible d’émettre sur ce sujet une opinion décisive. Des témoignages certains attestent que les croisés parurent autrefois dans ce pays. On retrouve encore d’anciennes armures de chevaliers, des lames de sabres portant des inscriptions françaises. Abbas-Kouli me parla de châteaux forts de construction génoise ou vénitienne, et me cita le Tchirakkalé (château lumineux), sur la route de Kouba à Bakou, à l’extrémité du dernier chaînon du Schah-Dagh, au bord de la Caspienne ; le Tchirakkalé servait jadis de fanal pour avertir, en cas de danger, les habitans menacés d’une descente des Tartares ou Turcomans.

Les environs de Kouba sont très boisés. Des Polonais, qui se trouvaient dans cette ville, me parlèrent de l’abondance et de la variété du gibier : exilés de leur pays, leur seule consolation était de se distraire par des exercices violens. J’ai souvent rencontré en Géorgie des nobles polonais devenus simples soldats. Partout ils se louaient de leurs rapports avec leurs commandans, qui les traitaient comme leurs égaux et les laissaient s’exprimer librement sur les abus du gouvernement qui les opprime. Je n’ai jamais remarqué en Géorgie l’animosité qui partout ailleurs règne entre les deux nations et les divise si profondément.

La route de Kouba à Bakou est aussi monotone que déserte ; les seules habitations qu’on rencontre sont les relais de poste ; on traverse une plaine toujours unie, et le manque d’eau se fait vivement sentir, surtout en approchant de la presqu’île d’Apchéron. Nous franchîmes rapidement la distance qui nous séparait de Bakou. Laissant derrière moi les nouveaux faubourgs qui s’élèvent en dehors de cette place, je dépassai l’enceinte de murailles qui entourait l’ancienne ville et vins demander un logement au colonel qui commande à Bakou. De nombreux bâtimens animent le port, qui est un des meilleurs de la Caspienne ; tous les navires qui se trouvent sur cette mer sont d’un faible tonnage, à cause de la quantité de bas-fonds qui s’étendent souvent à plus de deux lieues des côtes. Un brick de guerre était mouillé à Bakou ; je fus le visiter, et j’appris du commandant que la marine militaire se composait de six petits bricks, armés de dix pierriers ; il me dit que ces bâtimens suffisaient pour protéger le commerce russe ; ils sont souvent employés à des transports entre