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LES PROVINCES DU CAUCASE.

engagemens sans cesse renouvelés, qui entraînent la mort ou la captivité d’un grand nombre d’officiers. Chamyl un jour succombera, les os de ses victimes resteront semés sur le sol qu’il aura défendu, et un nouveau prophète surgira, ambitieux d’égaler la renommée de Khazi-Mollah et de Chamyl.

L’introduction de l’islamisme parmi les peuples du Daghestan et de la Circassie a été le signal de leur opposition constante aux Russes. Jadis ils négociaient avec la Russie, ils combattaient même pour sa cause ; aujourd’hui une guerre religieuse peut créer aux troupes du czar dans ces contrées des obstacles insurmontables. Toutes les positions occupées par les Russes sont maintenant encore disputées par les montagnards, et les sacrifices d’hommes et d’argent faits depuis quarante ans deviennent entièrement inutiles. Pour qu’une révolution religieuse accompagnée d’une guerre terrible éclate, il suffit qu’il se rencontre parmi les peuples du Caucase un homme qui connaisse bien les passions des différentes familles, qui sache protester avec éloquence contre les vexations des autorités russes, capable enfin de réunir sous le drapeau du fanatisme toutes les tribus divisées par des haines privées ou de petites vengeances. Des généraux qui connaissent les mœurs et les habitudes des montagnards regardent ce danger comme imminent. Ils m’assuraient que l’influence religieuse de Chamyl était immense. Les hommes qu’il désignait pour exécuter une mission ne connaissaient aucun danger : Chamyl l’avait ordonné, ils devaient obéir sans penser au sacrifice de leur vie. Le fanatisme des tribus est tel, que des officiers m’assurèrent qu’ils n’auraient pu suivre la route qui m’avait amené à Derbent ; le même montagnard qui passait près de moi, me souhaitant la bienvenue, aurait armé son fusil, et, posté dans un lieu écarté, aurait tué l’officier qu’il aurait rencontré sur sa route. Un des officiers du colonel Wrangel avait été enlevé par les Lezghes, qui demandaient 100,000 francs pour sa rançon. Le gouvernement russe refuse maintenant de racheter les officiers ou soldats faits prisonniers ; ce sont les familles de ces malheureux qui sont chargées de ce soin, si elles ne veulent les laisser enchaînés au service d’un montagnard cruel, qui ne les emploie qu’à des travaux pénibles.

La situation de Kouba, résidence du chef militaire du district, est une des plus malsaines du Caucase. Le régiment qui y tenait garnison comptait plus de six cents malades. Le nombre considérable d’employés civils et militaires qui se trouve à Kouba éloigne les indigènes ; toutes les maisons un peu grandes sont occupées par les Russes. Les bazars me parurent déserts. Kouba est renommée par