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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

vaises lois, et, si la législation de la colonie est vicieuse, il n’en résulte pas que l’émanciption soit un bien. Corrigez vos codes, rendez-les plus sages, plus justes, plus humains, et vous pourrez, en accordant aux nègres un sort meilleur qu’il ne le serait par l’émancipation, vous abstenir de dépouiller vos colons et de troubler le monde. D’ailleurs, vous avez encore un moyen d’améliorer le sort des esclaves : maintenez rigoureusement l’abolition de la traite ; les maîtres veilleront avec plus de soin sur l’esclave, propriété dont la valeur augmentera, et ce qui n’aura pas été obtenu par l’humanité sera dû à l’intérêt.

L’expérience prouve qu’il meurt à Cuba près de moitié de plus d’affranchis que d’esclaves. Pendant les années 1832, 1833 et 1834, il est mort dans l’île un nègre libre sur trente, et un nègre esclave sur cinquante-trois esclaves.

Voici les questions qui se présentent.

Les nègres esclaves sont-ils plus heureux en Afrique que dans nos colonies ?

Une fois arrivés en Amérique, trouvent-ils un avantage réel à être émancipés plutôt qu’esclaves ?

La justice et l’humanité s’accorderont-elles avec l’attentat à la propriété et la lutte sanglante qui résulterait de l’émancipation ?

Est-ce par un sentiment de philantropie réel que les Anglais agissent contre l’esclavage dans les colonies espagnoles ? et les moyens qu’ils emploient pour arriver à leur but sont-ils compatibles avec les sentiments de philantropie qu’ils proclament ?

Le bien-être matériel dont les esclaves jouissent à Cuba, la protection que les lois leur accordent, ne sont-ils pas préférables pour eux aux chances d’une vie vagabonde et misérable, pour les colons aux perturbations horribles que l’existence de ces hordes sauvages, étrangères aux mœurs, aux usages et aux préjugés de la colonie, pourrait y causer ?

Sur ces diverses questions, j’ai dit ce que l’expérience m’a suggéré. J’ai exposé mes convictions et mes doutes ; l’amour de la vérité a été mon seul guide. La justice abstraite est chose grande et sublime sans doute, mais rarement compatible avec notre faiblesse. Dieu même, pour nous l’accorder ou nous l’imposer, est obligé d’y joindre l’équité qui la tempère.


Ctesse Mercédès Merlin.