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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

paresse a d’autant plus d’empire sur les nègres, qu’elle n’est pas combattue par le besoin. À Cuba, la nature suffit avec luxe à tous leurs désirs ; le sol offre sans culture et en profusion des racines colossales qu’on assaisonne avec des aromates exquis, sans autre peine que celle de se baisser pour les cueillir. Une demeure ? ils n’en ont pas besoin sous une atmosphère toujours brûlante, où les nuits sont encore plus belles que les jours. Quatre pieux, quelques feuilles de palmier, voilà tout ce qu’il leur faut pour se garantir de la pluie ; puis des tapis de mousse et de fleurs pour se reposer, et la voûte du ciel pour s’abriter. Quant aux vêtemens, la chaleur les leur rend inutiles, souvent insupportables. Un nègre indolent et sauvage, étranger à tout désir de progrès, d’ambition, de devoir, s’avisera-t-il jamais de remplacer cette vie imprévoyante, vagabonde et sensuelle, par les rigueurs d’un travail volontaire et d’une existence gagnée à la sueur de son front ?

Supposons encore que, par un miracle, l’éducation morale des esclaves affranchis, se développant tout à coup, les amenât à l’amour du travail. Devenus laborieux, les nègres ne tarderaient pas à être tourmentés du désir de devenir propriétaires ; de là rivalité, ambition, envie contre les blancs et leurs prérogatives. Sous un régime politique constitutionnel, dans un pays gouverné par des lois équitables, ne pourraient-ils pas réclamer le partage des mêmes institutions ? Leur accorderiez-vous tous vos droits, tous vos priviléges ? En feriez-vous vos juges, vos généraux et vos ministres ? Leur donneriez-vous vos filles en mariage ? Ce n’est pas cela que nous voulons, s’écrieront les amis des noirs ; qu’ils soient libres sans doute, mais qu’ils se bornent à travailler la terre, à charrier de la canne comme des bêtes de somme ! Ils n’y consentiront pas, eux ; s’ils font ce métier aujourd’hui, s’ils se trouvent, en s’y soumettant, aussi heureux qu’ils peuvent l’être dans leur état imparfait d’hommes sauvages, le jour où la lumière de l’intelligence luira pour eux, ils se sentiront hommes comme vous, et vous demanderont compte de leur abaissement ; puis, si vous les repoussez, ils vous écraseront, et le champ de bataille restera au plus fort. Faites-y attention ; point de quartier entre deux races incompatibles dès qu’elles auront donné le signal du combat.

Nous trouvons un exemple de cette vérité dans les désastres arrivés à New-York en juillet 1834. À peine les nègres se sentirent libres, qu’ils aspirèrent à l’égalité ; comment l’orgueil des blancs répondit-il à l’appel ? Par le feu et par le fer. Heureusement, le nombre des