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Non-seulement les colons de Cuba favorisent l’affranchissement de leurs esclaves en leur procurant les moyens d’acquérir de l’argent, mais ils leur donnent souvent la liberté. Un bon service, une preuve de dévouement, la femme esclave qui nourrit un enfant de la famille, les soins qu’elle a prodigués à un de ses membres dans sa dernière maladie, l’ancienneté des services, tout reçoit sa récompense, et cette récompense est toujours la liberté. Souvent l’esclave regarde ce bienfait comme une punition et l’accepte en pleurant. Je pourrais citer une foule de traits où l’affection du maître et la reconnaissance de l’esclave honorent l’humanité. Jusqu’à l’époque où la traite fut abolie, toutes les nations qui possédaient des colonies entravaient l’affranchissement. Le maître qui accordait la liberté à son esclave était obligé de débourser en droits de contrôle une somme équivalente au prix de l’esclave. La loi espagnole, plus généreuse, ne soumet ce bienfait à aucune taxe. Elle le réduit à une simple carta de libertad, faite et signée par le maître qui la garde dans ses archives et en remet copie au nègre. Nanti de cette pièce, l’affranchi a le droit d’exercer pour son compte toute espèce d’industrie.

Le liberto peut, à son tour, posséder des esclaves et des propriétés ; il y en a dont la fortune s’élève à 40 et 50,000 piastres. Mais la plus dure des conditions est celle de l’esclave d’un nègre ; maître impitoyable, la férocité naturelle de ce dernier s’accroît par le souvenir de sa propre servitude, et fait revivre pour son esclave la cruauté du sauvage africain. Lorsqu’il a obtenu sa liberté par coartacion, il tâche de conserver les franchises des esclaves ; car, si l’esclave n’a pas de droits, il n’a pas non plus de devoirs, et le nègre, qui par son affranchissement, jouit des uns, voudrait continuer à s’exempter des autres. Ainsi, tout en possédant des esclaves, des maisons, des terres, il a soin de rester débiteur envers son maître d’un medio (50 centimes) par jour, comme redevance des dernières 50 piastres à rembourser sur le prix de sa liberté. Cette redevance qui le place encore au nombre des esclaves par rapport au fisc, il ne la paie jamais et s’exempte, par ce moyen, du service militaire et de l’impôt, à titre d’esclave non totalement libéré.

Quoique l’esclave possède le droit de propriété, à sa mort son bien appartient à son maître ; mais, s’il laisse des enfans, jamais le colon de Cuba ne profite de cet héritage : il garde soigneusement le pécule de l’esclave défunt, le fait valoir, et, lorsque la somme est suffisante, il affranchit les enfans par rang d’âge. Souvent même le nègre devenu libre laisse de préférence son héritage à son maître. En voici un exemple entre mille : à l’époque où le choléra régnait ici, une