Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/763

Cette page a été validée par deux contributeurs.
759
LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

lieu de calmer sa haine, l’irrite ; il profiterait volontiers de sa situation pour exterminer son ennemi vaincu, si ce dernier ne se trouvait placé sous la protection du maître.

Malgré la robuste constitution des nègres, ils sont sensibles aux impressions atmosphériques ; la chaleur et le froid leur causent de subites et graves indispositions. Ce serait une curieuse et triste énumération que celle des nègres qui périssent tous les ans, soit par les souffrances qu’on leur fait subir pour les transporter en fraude d’Afrique, soit par toute autre cause. L’observation a prouvé que, malgré les dangers de la fièvre jaune, la mortalité des blancs est beaucoup plus faible proportionnellement que celle des nègres. M. de Saco[1] évalue celle-ci, année commune, à 10 sur 100, ce qui paraît exorbitant de prime abord, et ce qui pourtant est loin d’être exagéré.

Si les Africains n’avaient à lutter, dans l’île de Cuba, que contre l’excès de la chaleur, ils auraient, vu l’analogie des climats, un avantage incontestable sur les ouvriers blancs ; mais diverses circonstances détruisent cet avantage. Peu importe que la chaleur incommode moins les nègres que les blancs, si, en arrivant à la Havane, ils ont à souffrir d’autres privations, d’autres douleurs. Sans parler des maladies qui leur sont propres et qui exigent tous les soins des colons pour les conserver, une multitude presque innombrable de nègres périssent dans les traversées et dans les barracones, notamment depuis la prohibition de la traite. Avant cette époque, les bâtimens négriers étaient soumis à une surveillance sévère de la part de la police militaire ; on vaccinait les nègres à leur arrivée, on soignait les malades, et, si la maladie était contagieuse, on les mettait en quarantaine. Ces excellentes mesures engageaient les capitaines à traiter les nègres avec plus de soin pendant la traversée, et la mortalité était moins considérable. Mais, depuis l’abolition de la traite, le contrebandier négrier, ne songeant qu’à profiter du danger auquel il s’expose, entasse au fond de ses cachots mobiles autant de malheureux qu’ils peuvent contenir, et, après de longs jours et de longues nuits, il arrive au port avec une faible partie de sa cargaison, accablée, mourante, et souvent attaquée de la peste. Alors, jetée sur de solitaires rivages, elle reste sans secours, jusqu’à ce que la maladie et la mort s’en em-

  1. Patriote éclairé, qui a écrit et publié plusieurs ouvrages remarquables, commerciaux, politiques et scientifiques, notamment Mi primera pregunta, Exames analitico-politcos. Plusieurs des renseignemens que je reproduis ici sont puisés dans les ouvrages de ce publiciste.