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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

vendu jadis aux marchands européens par les ennemis de son père. Depuis que celui-ci a découvert la demeure de son fils, il envoie régulièrement tous les six mois des émissaires pour lui persuader de revenir près de lui. On n’a pas encore réussi à l’y faire consentir. En attendant et poussé par l’instinct de sa nature primitive, il dompte en amateur les chevaux destinés au manége de la ville.

Les esclaves employés aux labeurs de la campagne sont tous bozales, et peuvent à peine s’exprimer dans notre langue. Leurs traits sont doux, et leur physionomie stupide. La fabrication du sucre, la plus pénible de leurs tâches, est loin de l’être autant que la plupart des travaux mécaniques en Europe. Cette fabrication devient d’ailleurs chaque jour moins laborieuse par l’application de nouvelles machines et de nouveaux instrumens qui la simplifient. Quant à la main-d’œuvre agricole, elle exige peu de soins sur une terre qui ne demande aucune préparation, et où le plant de la canne conserve sa sève jusqu’à trente ans, sans qu’on ait besoin de le renouveler. Les paysans de Cuba, ou Quagiros, la cultivent comme les fruits et les légumes, pour la vendre au marché.

Un fait m’a frappée. Toutes les fois que j’ai vu le nègre chargé du même travail que le journalier européen, et que j’ai comparé les deux labeurs, j’ai trouvé, chez le premier, effort, fatigue, accablement, et chez l’autre gaieté, vigueur et courageuse intelligence. D’où vient ce désavantage de la race africaine, si elle est, comme on le dit, plus forte que la nôtre ? Faut-il l’attribuer au climat ? Mais les nègres sont nés sous le soleil brûlant d’Afrique. Est-ce à leur stupide ignorance, qui augmente les difficultés du travail, ou à l’indolence, qui les endort ? Toutes ces causes peuvent y contribuer ; néanmoins la première, la plus influente de toutes, c’est le peu d’habitude que le nègre a contracté du travail. Quelque robuste et bien constitué qu’il soit, il ne peut vaincre ce désavantage. Il est apte à courir, à sauter, à dompter les animaux sauvages ; mais il répugne au travail régulier, pratique, pacifique, fruit de la civilisation et des bonnes institutions. Ses violens exercices une fois accomplis, la fureur de ses passions une fois calmée, il ne tarde pas à retomber dans la plus stupide indolence. De là ces traitemens sévères, ces condamnables rigueurs des mayorales, quand ils veulent contraindre les nègres à un travail régulier.

Néanmoins, à la surveillance près, le travail des nègres est, dans la colonie de Cuba, aussi modéré, aussi réglé, que celui des journaliers de campagne en France. À cinq heures du matin, le mayoral