tous les ans deux habillemens complets, un bonnet, un madras, una fresada (couverture), il me nourrissait bien, et, quand je devenais malade, il me faisait guérir. Maintenant, il me faut de l’argent pour tout cela ; si je le gagne ; on ne me paie pas comptant ; si je suis souffrant, il faut que je travaille comme si je me portais bien, et, si je suis obligé de m’aliter, le médecin emporte le fruit de ma peine ! Io fui un caballo de libertar me ! (J’ai été un cheval de m’affranchir). »
Une fois le nègre affranchi et hors de la maison, il est rare que le colon consente à le reprendre chez lui, surtout si le liberto a fait partie des esclaves de l’habitation. L’indépendance, jointe à l’ignorance et à la paresse, ne tarde pas à développer chez lui des vices dont l’exemple serait à redouter pour ses compagnons. Il est en général recéleur, et, comme un des penchans dominans des nègres est le vol, il s’y abandonne davantage à mesure qu’il rencontre plus de facilité à le cacher. Le liberto a le droit de sortir de l’habitation quand il veut, et il en profite pour aller vendre, dans les villages voisins, le fruit des larcins de ses camarades. Quelquefois il donne asile à l’esclave fugitif ; dans ce cas, on le condamne d’abord à deux, puis à trois mois de prison, et, s’il y a récidive, à six mois, sans que la punition puisse jamais dépasser ce terme. Comparez à ce châtiment la peine infligée jadis, en pareil cas, par la loi française : « Les affranchis ou nègres libres qui auront donné retraite, dans leur maison, aux esclaves fugitifs, seront condamnés, par corps, envers le maître à une amende de 30 livres par chaque jour de rétention, et faute, par lesdits nègres affranchis ou libres, de pouvoir payer l’amende, ils seront réduits à la condition d’esclaves, et vendus. Si le prix de la vente dépasse l’amende, le surplus sera délivré à l’hôpital ! » Et comme la somme exigée était exorbitante et hors de tout rapport avec la pauvreté habituelle de l’affranchi, il payait toujours sa faute de sa liberté. Ainsi, un acte charitable était puni, sous la loi française, par la ruine, par la perte de la liberté et par l’exhérédation de la famille entière. Il faut avouer que, dans nos colonies, les lois de l’humanité ont été mieux observées que dans celles de la France.
Toutefois, le liberto n’a que rarement l’occasion d’accueillir sous son toit le nègre marron ; celui-ci préfère au foyer de l’affranchi la savane solitaire. L’herbe haute et touffue, enlacée aux buissons gigantesques de la caña-brava[1], lui offre un asile beaucoup plus sûr ; ou
- ↑ Espèce de jonc gigantesque qui s’élève jusqu’à cinquante pieds de haut en bouquets de deux ou trois cents tiges.