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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

de responsabilité, il s’arrête pour reprendre haleine, la misère fond sur lui et sur les siens, le presse, l’étouffe et l’accable. L’esclave ici, objet de la pitié exaltée des Européens, léger d’avenir et d’ambition, tranquille, insoucieux, vit au jour le jour, se repose sur son maître du soin de sa conservation, et, s’il est affligé d’une infirmité à vingt ans, voit son existence assurée, fût-il destiné à vivre un siècle.

Une des sources de profit du nègre est le vol. Il est rare d’en trouver de fidèles, et, pour des gens dépourvus de principes, la raison est toute simple, c’est l’impunité. Un maître dépouillé par son esclave se garderait bien de le livrer à la justice, convaincu qu’il est d’en être pour l’argent volé, pour son nègre, et pour les frais du procès. Aussi se borne-t-il à fustiger le coupable, qu’il garde chez lui. Le voleur recommence le lendemain ; mais si, avant qu’on s’aperçoive du larcin, il l’emploie à son affranchissement, il est libre devant la loi, quand même il serait convaincu du vol, quand même il aurait avoué sa faute un instant après l’avoir commise. On le contraint seulement à payer, avec le produit de son travail, la somme volée. Outre ce moyen illicite de racheter leur liberté, les noirs en ont un autre dans les gratifications d’argent qu’ils reçoivent, à tout propos, de leur maître, du niño, de la niña[1], des parens, des amis de la maison ; et comme les familles sont nombreuses, que, la chaleur étant extrême, tout est ouvert, partout on les rencontre sur ses pas. Mi amo, un rea pa tabacco ! — Niña, do rea pa vino ! (Maître, un réal pour du tabac ! — Mademoiselle, deux réaux pour du vin !) En disant cela, ils avancent une main, se grattant l’oreille de l’autre, et vous montrent leurs blanches dents avec un regard doux et suppliant qui vous fait venir le sourire sur les lèvres, quelquefois les larmes aux yeux, et toujours porter la main à la bourse.

Le nègre carabali est le plus économe, et s’affranchit en peu de temps. Il n’est pas rare qu’un esclave qui garde ses épargnes se trouve en mesure de se racheter deux ou trois ans après son arrivée d’Afrique. Mais souvent il préfère l’esclavage, et dépose son argent entre les mains de son maître ; s’il essaie de la liberté, bientôt le repentir le saisit, et il revient près du maître, qu’il supplie de le reprendre. J’ai vu, il y a peu de jours, un ancien esclave de mon oncle qui s’était racheté il y a environ un an. Il était venu voir son maître, et se repentait amèrement de l’avoir quitté : des larmes brillaient dans ses yeux. « J’étais bien ici, disait-il, mi amo me donnait

  1. Fils et fille de la maison.