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minie, il ne la mesure que par la douleur. Aussi sa répugnance au travail et son indolence ne cèdent-elles qu’à la contrainte, qui, d’ailleurs, semble bien plus révoltante aux hommes nés dans les pays civilisés, et pour qui les idées de dignité et de flétrissure ont un sens. Le soldat anglais n’a-t-il pas à supporter the flogging, le soldat allemand la schlag, et le matelot français les coups de corde et la bouline ? Revenons à nos pauvres nègres. Si le maître frappe son esclave plus rigoureusement que la loi ne le permet, et qu’il y ait contusion ou blessure, le syndic procureur dénonce le coupable devant les magistrats, et demande, au nom de son client, l’application de la peine. Alors le maître devient responsable devant le tribunal, et l’esclave offensé est revêtu par la loi de tous les droits de l’homme libre.

L’esclave romain ne pouvait rien posséder ; tout, chez lui, appartenait à son maître. À Cuba, par la real cedula de 1789, et, ce qui est à remarquer, par la coutume antérieure à cette disposition légale, tout ce que l’esclave gagne ou possède lui appartient. Son droit sur sa propriété est aussi sacré devant la loi que celui de l’homme libre ; et si un maître, abusant de son autorité, essayait de le dépouiller de son bien, le procureur fiscal exigerait la restitution. Mais un droit encore plus précieux, et qui n’existe dans aucun code connu, est accordé aux esclaves de Cuba : c’est celui de coartacion. Cette loi doit encore son origine aux anciennes mœurs des propriétaires et à leur charité naturelle. Non-seulement l’esclave, aussitôt qu’il possède le prix de sa propre valeur, peut obliger son maître à lui donner la liberté ; mais, faute de posséder la somme entière, il peut forcer ce dernier à recevoir des acomptes, au moins de cinquante piastres, jusqu’à l’entier affranchissement. Dès la première somme payée par l’esclave, son prix est fixé, il ne peut plus augmenter. La loi est toute paternelle : car l’esclave, pouvant se libérer par petites sommes, n’est pas tenté de dépenser son pécule à mesure qu’il le gagne, et, par ce moyen, son maître devient pour ainsi dire le dépositaire de ses épargnes. Et puis l’esclave ne se décourage pas, dans ses modestes chances de gain, devant la perspective d’une trop grande somme à réunir ; il croit plus rapproché le but de ses espérances, puisqu’il peut l’atteindre par degrés. Il y a plus (et ceci est un bienfait dû non à la loi, mais au maître, et consacré par la coutume), aussitôt qu’un nègre est coartado, il est libre de demeurer hors de la maison du maître, de vivre à son compte et de gagner sa vie comme il l’entend, pourvu qu’il paie un salaire convenu,