Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/752

Cette page a été validée par deux contributeurs.
748
REVUE DES DEUX MONDES.

elle est injuste et nuisible aux vrais intérêts de la métropole à laquelle l’île de Cuba est intimement attachée par les liens d’une race commune, par les mœurs, la religion, les habitudes et les sympathies. Que le gouvernement lui donne des preuves de sollicitude, il la trouvera fidèle. Je ne crois pas me tromper en disant qu’il n’y a pas un habitant de la colonie qui, moyennant quelques salutaires modifications, ne préfère, soit par attachement, soit par la conscience de ses vrais intérêts, la domination de l’Espagne aux théories libérales et plus encore au joug de toute autre puissance. D’ailleurs, ses habitans ont donné assez de preuves, en tous temps, de leur amour pour leurs frères d’Espagne, en prodiguant leurs trésors et leur sang pour les seconder dans les tristes débats que la métropole a soutenus. Il est temps que la mère-patrie y songe ; c’est chose dangereuse pour elle-même de tenir la foudre trop long-temps suspendue sur la tête des colons. Si elle éclatait un jour, elle blesserait à mort la métropole en détruisant sa belle et fidèle colonie.

L’esclavage, à Cuba, n’est point comme ailleurs un état abject et dégradé ; l’esclave est à couvert des caprices ou des fureurs insensées du maître, et l’homme de couleur libre n’est pas dépouillé des droits et garanties du citoyen, parce qu’il a été vendu un jour. Nulle part la voix de la philosophie et de la raison n’exerce autant d’empire sur les préjugés du rang et de la fortune. Tandis que les républicains des États-Unis, tout en portant l’affectation de l’égalité jusqu’au cynisme, accablent la race de couleur d’un intolérable mépris, le Havanais, nourri dans le respect des classes aristocratiques, traite le mulâtre en frère, pourvu qu’il soit libre et bien élevé. Il n’est pas sans exemple de voir le sang indien ou africain circuler dans des veines bleues, sous une peau blanche, à la suite d’unions légitimes et avouées. On est surtout frappé de ces sortes de fusions dans l’intérieur de l’île, où les traits des habitans trahissent souvent leur origine indienne ; il n’est pas rare qu’un léger reflet doré sur la peau ou que des cheveux épais et crépus révèlent le sang africain. Cette direction tolérante de l’opinion doit être attribuée aux lois éclairées et humaines, jadis accordées en faveur des nègres par le gouvernement de la métropole. Si la nation espagnole a été la première à encourager le commerce des esclaves, elle a été la seule qui ait songé à faire participer au bienfait des institutions européennes ces pauvres déshérités. C’est que nos lois relèvent d’une sainte inspiration, celle de la religion catholique ; elle a développé la pieuse humanité de nos colons envers leurs esclaves ; là se trouve la force immense qui a