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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

pour eux un sujet de mépris. Lorsqu’ils veulent adresser une injure à ceux qui portent ce titre, ils les apostrophent en leur disant : « Vous n’êtes que des emancipados. » Le sens du mot liberté n’est pas nettement compris par le nègre ; il estime le bien-être matériel beaucoup plus que l’indépendance, ou peut-être a-t-il assez de bon sens pour s’apercevoir que le bienfait est dans la chose et non dans le mot, et que le sort qu’on veut lui faire ne vaut pas celui qu’on lui fait.

Aujourd’hui les Anglais, voyant le peu de succès de leurs plans, commencent à mettre à profit leurs captures nègres, soit en les vendant sous main, soit en les conduisant sur leurs pontons à la Trinité et ailleurs ; là, les nègres captifs sont soumis à de pénibles travaux et à des privations telles, que le sort des esclaves de Cuba leur paraît très digne d’envie. Une partie de ces cargaisons est destinée à retourner en Afrique ; mais, au lieu de rendre les nègres à leurs foyers, on les conduit dans les établissemens anglais des côtes africaines, que les négocians de cette nation, protégés par leur marine royale, remplissent de nègres loués pour vingt ou trente ans. Cette dernière condition, exemptant le maître de tout devoir envers le nègre, est mille fois pire que celle de l’esclave.

Le nombre d’esclaves de l’île, nombre qui s’élevait à 60,000 en 1763, était en 1791 de 133,559, et en 1827 de 311,051 ; la population des blancs, relativement aux hommes de couleur, était, en 1827, de 44 sur 56 ; et en 1832, sur 800,000 habitans, on en comptait déjà environ 500,000 de couleur. Depuis, et jusqu’en 1839, le nombre des nègres s’est considérablement accru, comparativement à celui des colons, et je ne crois pas me tromper en le portant aujourd’hui à plus de 700,000.

Bien que, dans leurs théories avouées, les autorités se montrent toujours favorables à la colonisation, elle n’est pas encouragée ; et, si les étrangers qui abordent à Cuba sont reçus sans difficulté, on ne fait rien pour en attirer d’autres. Il est vrai que le plus grand nombre se compose d’Anglais et d’Américains du nord, et que les intérêts des uns et les principes politiques et religieux des autres ne sont nullement en harmonie avec le système adopté à Cuba : on y redoute encore plus l’augmentation de la force des blancs, aidée de leur intelligence, que la force numérique des nègres, que leur ignorance et leur stupidité rendent peu redoutables. Aussi, en négligeant la colonisation tolère-t-on l’accroissement des esclaves.

Cette politique non-seulement est dépourvue de générosité, mais