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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

laquelle il était consacré. Toutefois, cette somme, au lieu de recevoir sa destination, fut en partie dilapidée, et le reste employé à l’achat de plusieurs vaisseaux russes en fort mauvais état, qui, destinés à porter des troupes en Amérique pour combattre l’indépendance du Mexique et du Pérou, ne sortirent jamais du port de Cadix, et y pourrirent. Ce marché immoral et frauduleux fut conclu par l’entremise de M. N…, favori du roi, voué aux intérêts de la Russie. Plus tard, les Anglais désirèrent ajouter de nouvelles clauses plus rigoureuses au traité d’abolition, qui, comme nous l’avons déjà dit, était chaque jour violé ostensiblement. Ils insistèrent à plusieurs reprises auprès du gouvernement espagnol ; jusqu’en 1834, leurs demandes furent éludées. À cette époque, M. Martinez de la Rosa devint ministre des affaires étrangères. L’Espagne avait besoin de ménager le gouvernement anglais, qui le premier se prêta au traité de la quadruple alliance, et qui, par son influence, pouvait lui être d’un puissant secours contre le prétendant. Les Anglais, profitant de cette circonstance, devinrent plus pressans. Entre autres exigences, ils demandèrent que les capitaines de bâtimens négriers arrêtés fussent jugés, soit par les lois contre la piraterie, soit par les lois anglaises : clause réciproque en apparence, mais seulement en apparence. L’Espagne, intéressée au commerce des esclaves, avait, depuis l’abolition de la traite, appuyé, sinon protégé, l’arrivée des bâtimens négriers dans ses colonies. Ainsi, ce droit de visite aussi arbitraire qu’humiliant pour notre marine marchande ; ce droit, qui sert chaque jour d’excuse à des étrangers pour violer, sous le prétexte du moindre soupçon, le domicile maritime de l’Espagnol, et pour y commettre des actes illicites, violens, souvent des larcins ; ce droit odieux et flétrissant aurait été enfin complété par celui de pendre ou fusiller, au gré du premier officier anglais de mauvaise humeur, tout Espagnol prévenu de faire le commerce des esclaves ; et comme, sur cinq bâtimens, deux au moins sont confisqués sans motif suffisant, il en serait résulté que, sur cinq capitaines, deux auraient peut-être été condamnés injustement à mort.

Pour comprendre tout ce qu’il y a de révoltant dans ce droit de visite, il faudrait connaître la multitude de faits, de procès, de réclamations dont il est la source. Quelques mois avant mon arrivée à Cuba, un négociant catalan, après avoir fait sa fortune dans cette île, fréta un bâtiment ; il s’embarqua pour retourner dans son pays avec sa famille et son trésor. À peine le navire se trouva-t-il hors du canal, qu’une croisière anglaise l’aborda. L’ayant visité, le commandant