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nombre de nègres d’Afrique. Allumée chez nos voisins, la lave pouvait se précipiter sur nous et nous engloutir sous sa couche brûlante. D’un autre côté, les grandes et nouvelles théories françaises, répétées par l’écho des cortès de Cadix, et transmises dans nos villes par la presse, dans nos campagnes par des agens secrets, éveillèrent des idées et des sentimens inconnus jusqu’alors. Le mot liberté résonna dans la colonie, et plusieurs révoltes lui répondirent. À ce bruit notre gouvernement comprit pour un moment tout le danger qui nous menaçait. C’était pendant l’administration de don Alexandro Ramirez, homme d’une haute vertu et d’un zèle infatigable pour le bien public. Sous son influence, on organisa une junte d’encouragement en faveur de la colonisation, seul moyen d’accroître la force de la caste blanche en face des hordes africaines, de conserver pour l’avenir la prospérité de la colonie et de détruire l’esclavage. Cette réunion de bons patriotes s’occupa d’abord avec zèle de sa mission. Les établissemens de Nuevitas, de Santo-Domingo, Isla-Amelia, Fernandina, et d’autres[1], furent offerts aux émigrans. Mais la nouvelle institution avait besoin d’argent : la junte en manqua, et ses efforts restèrent infructueux. Ses fonctions se bornent maintenant à figurer, sur la Guia de Forasteros (Guide des Étrangers). Par un decreto real du 21 août 1817, les fonds provenant de la contribution sur les frais judiciaires furent destinés à encourager la colonisation ; mais on ne tarda pas à leur donner un autre emploi, et les priviléges et franchises offerts aux nouveaux colons par le même décret n’ont pu porter aucun fruit. En attendant, les contrées destinées à recevoir la colonisation restent peuplées d’esclaves. Plus des deux tiers du territoire de cette île, si admirable de beauté et de jeunesse, condamnés à ne point connaître la main de l’homme, étalent encore en splendides forêts vierges, en lianes sauvages et solitaires, l’opulence de sa sève indomptée.

Sous le gouvernement absolu de Ferdinand VII, en 1817, M. de Pizarro étant ministre des affaires étrangères, l’Espagne conclut avec l’Angleterre le traité par lequel elle s’interdisait le commerce des esclaves, et concédait aux Anglais le droit de visite. En compensation des dommages qu’allaient éprouver les armateurs et les négocians espagnols, l’Angleterre accordait à l’Espagne soixante-dix mille livres sterling ! sacrifice généreux en apparence, offert au culte de la liberté, mais qui, (par sa magnificence même, décelait la véritable idole à

  1. Établissemens formés dans l’intérieur même de l’île.