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LES ESCLAVES DANS LES COLONIES ESPAGNOLES.

ment un élément plus pur de richesse, mais aussi plus solide et plus lucratif. Si la prohibition de la traite était rigoureusement observée, et que la colonisation fût encouragée avec activité et persistance, l’extinction de l’esclavage s’opérerait sans secousse, sans dommage, et par le seul fait de l’affranchissement individuel. Il faudrait, pour obtenir ce résultat, que l’impéritie et l’amour du gain ne l’emportassent pas sur les vrais intérêts de l’état et sur l’amour de l’humanité ; il faudrait qu’en présence du traité solennel qui prohibe la traite, on n’eût pas des barracones ou marchés publics de nègres bozales[1] ; il faudrait que les gouverneurs des villes n’autorisassent pas, par la présence d’agens de police, le débarquement des navires négriers ; il faudrait, enfin, que le contrebandier marchand d’esclaves ne fût pas imposé d’une once d’or par tête de nègre qu’il introduit dans l’île. Ce honteux marché trouve son prétexte dans le zèle des autorités pour la colonie, qui, disent-elles, périrait sans le commerce des esclaves ; zèle dangereux pour ces autorités même, car leur position serait fort compromise, si le gouvernement supérieur venait à connaître leur coupable tolérance. Depuis la nouvelle prohibition de la traite, c’est-à-dire depuis cinq ans, les gouverneurs des villes ont puisé à cette source impure plus d’un million de piastres, somme énorme, mais facile à expliquer, si l’on réfléchit que dans cet espace de temps on a introduit dans nos ports plus de cent mille esclaves, tandis qu’à peine y est-il entré trente à quarante mille colons ou autres émigrans de race blanche.

Il y a diverses causes à cette disproportion.

Une des plus tristes conséquences de l’esclavage, c’est d’avilir le travail matériel. L’agriculture étant la première et la plus générale ressource des classes prolétaires, l’excédant de la population européenne se porterait de préférence dans un pays qui lui offre un bon salaire, le bien-être et une belle nature, plutôt que d’affluer dans les froids déserts de l’Amérique du nord. Mais à peine les prolétaires européens arrivent-ils ici, qu’ils se voient confondus avec une race esclave et maudite ; leur orgueil se révolte, ils rougissent de l’affront, puis ils cherchent à leur tour à se faire servir. Le premier usage que fait de ses premières épargnes un pauvre laboureur, c’est l’achat d’un nègre, d’abord pour diminuer ses fatigues, ensuite pour racheter la honte de travailler de ses propres mains. Ainsi toutes les époques

  1. Dénomination qui s’applique aux Africains sans instruction et encore sauvages.