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Plus tard, un nommé Nicolas Porcia acheta diverses obligations appelées par les Espagnols cartillas del pagador, qui ne lui furent pas délivrées. Pour se rembourser, il obtint le privilége de l’importation des nègres pour cinq ans ; mais, n’ayant pas les fonds nécessaires pour l’exploiter, il le céda aux Allemands Kusmann et Becks, qui, après avoir fait fortune, ne payèrent le pauvre Porcia qu’en le faisant incarcérer comme fou par le gouvernement de Carthagène. Il l’était si peu, qu’il parvint à s’échapper de sa prison, aidé par la fille du geôlier qu’il avait séduite, et se rendit à la cour d’Espagne. L’attentat dont il avait été victime excita l’intérêt du gouvernement ; on le dédommagea en lui accordant un nouveau privilége pour cinq ans.

On voit que tous ces traités ont peu d’importance, et que, jusqu’au commencement du XVIIe siècle, les esclaves introduits dans les Antilles furent en petit nombre. Il est vrai que l’île de Cuba n’exploitait pas encore de mines, et que l’Espagne, tout occupée des trésors qu’elle tirait du continent, n’avait garde de songer aux parcelles d’or qui roulaient avec le sable de nos rivières. D’ailleurs, elle avait à lutter contre la jalousie des autres puissances qui la harcelaient de toutes façons ; guerre ouverte, pirates, flibustiers, tout était bon pour lui faire payer sa belle trouvaille d’outre-mer. Quoi qu’il en soit, pendant le cours du XVIIe siècle, la traite cessa presque entièrement. Le roi n’octroya plus de priviléges et se borna à faire introduire de loin en loin à la Havane un petit nombre d’esclaves destinés au travail des mines. Cet état de choses dura jusqu’à la guerre de succession, époque où les Français vinrent réveiller notre agriculture, qui, faute d’encouragemens, était tombée en léthargie. Ils livrèrent des nègres en échange du tabac, et l’industrie reprit quelque peu de mouvement. Mais à la paix d’Utrecht les Anglais obtinrent le monopole de la traite. C’est à leur activité et au grand nombre d’esclaves qu’ils introduisirent dans l’île, lorsqu’en 1762 ils se rendirent maîtres de la Havane, qu’elle doit le développement nouveau de ses progrès agricoles. En 1763, le nombre des esclaves, qui, en 1521, était de trois cents, fut porté jusqu’à soixante mille.

Que le saint homme de Chiapa me pardonne ! l’esclavage qu’il importa fut pour la Havane un déplorable germe ; devenu arbre géant, il porte aujourd’hui les fruits amers de son origine, mais on ne saurait l’abattre sans courir le risque d’en être écrasé. Source inépuisable de douleurs, de graves responsabilités et de craintes, il est en outre, par les excessives dépenses qu’il occasionne, un principe de ruine permanente. Le travail de l’homme libre serait non-seule-