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niveau avec la mer. Je dépassai les vignes et les jardins qui entourent Derbent, dont j’apercevais les hautes murailles et les tours carrées, qui, partant du pied de la montagne de Tabasseran, se prolongent jusqu’à la mer, sur une longueur d’environ trois mille mètres. Je m’avançai au milieu de cimetières musulmans qui, placés à l’entrée de la ville, rappellent par leur étendue l’importance, aujourd’hui si diminuée, de la ville de Derbent. Je montai à la citadelle établie sur un rocher presque à pic, à la hauteur de deux cent soixante mètres au-dessus du niveau de la mer. La distance qui sépare Tiflis de Derbent, par la route de montagnes que j’avais suivie, est de quatre cent seize verstes. La route de poste que les officiers sont obligés de suivre est plus longue que l’autre de trois cents verstes. Les traditions populaires attribuent à Alexandre la fondation de Derbent, que les Turcs appellent Demir-Kapou (portes de fer) ; on me montra dans la citadelle la place qu’avait occupée Pierre-le-Grand, qui, le premier, enleva Derbent aux Persans, en 1722 ; depuis, cette ville revint à la Perse. En 1766, le khan de Kouba la rangea sous sa domination ; ce ne fut qu’en 1806 qu’elle fut incorporée dans le gouvernement du Caucase. Les habitans n’ont pourtant pas cessé de prendre part aux diverses guerres qui ont agité ces pays. Je vis une centaine de maisons dont les maîtres avaient été pendus ou exilés par suite de leur participation aux troubles de la montagne.

La ville est administrée par un divan composé des notables, et placé sous la présidence du commandant, qui seul exerce vraiment le pouvoir. Les habitans paient une capitation de six roubles argent ou 24 francs. L’intérieur de la ville, ses bazars, les costumes des habitans, sont empreints du caractère persan. On y remarque une place immense, construite par les Russes. Quelques nouveaux bazars, une caserne, et le quartier-général, occupent les divers côtés de cette place, où l’on est en proie à un soleil ardent. Les Russes ne savent pas adapter leur architecture aux besoins du pays, ils construisent toujours comme pour leurs climats froids ; les casernes, mal aérées, sont presque toutes malsaines ; la saleté des soldats et leur mauvaise nourriture aggravent encore les effets de la disposition vicieuse des logemens. Les soldats russes restent exposés à un soleil de plus de 30° Réaumur, n’ayant pour garantir leur tête qu’une simple casquette de toile. Quelques instans suffisent pour produire des fièvres chaudes presque toujours mortelles. L’abus des liqueurs fortes, des fruits et des végétaux amène des dysenteries et des fièvres lentes. Ceux qui sont assez heureux pour résister à l’action du climat vont