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ANCIENS AUTEURS FRANÇAIS.

sées çà et là, et qu’il faut recueillir de la lecture de plusieurs divers lieux (sic) et de plusieurs auteurs, à la vérité il faut que premièrement et devant toutes choses il soit demeurant en une grosse et noble cité, pleine de peuple et de grand nombre d’hommes aimant les choses belles et honnestes, afin qu’il aie abondance de toutes sortes de livres, et qu’en cherchant çà et là, et entendant dire de vive voix beaucoup de choses que les autres historiens auront à l’aventure omis d’escrire, et qui seront de tant plus croyables qu’elles seront encore demeurées en la mémoire des hommes vivants, il puisse rendre son œuvre de tout poinct accomplie et non défectueuse de plusieurs choses y nécessaires. »

Se peut-il rien imaginer de plus entortillé, de plus mal articulé, qu’une telle période ? Le traducteur n’a pas à sa disposition une instrument capable de lutter contre la langue grecque, et il n’est pas assez habile pour se tirer d’affaire par des équivalens. Il veut laisser chaque mot, chaque incise à sa place, et il en résulte pour lui encombrement de mots parfois véritablement effrayant. Au lieu de ces deux mots οὐ προχείρων, Amyot n’en emploie pas moins de onze qu’on ne trouve pas toujours partout à la main. Un peu plus loin, il rend les deux mots νοσφισαμένων et ἀμελησάντων par deux lignes : « Ils lui dérobèrent une partie de son bien et lui laissèrent aller à mal l’autre en faute d’en avoir tel soin qu’ils devoyent. »

Amyot est encore infidèle à Plutarque par un autre endroit ; il manque fréquemment de noblesse. Plutarque est souvent familier, mais il n’est jamais bas. Le ton de son récit est simple, mais soutenu. Il n’a rien écrit, par exemple, qui ressemble à ces expressions de son traducteur dans la vie d’Antoine, Cléopâtre allait battre le pavé avec lui, et à celle-ci, dans la vie d’Aristide : « Jupiter-Sauveur s’approcha de lui en songe, et lui demanda ce que les Grecs avoyent proposé de frire. »

Enfin, un dernier défaut d’Amyot, c’est d’intercaler dans le texte des explications de sa façon, de véritables scholies, qui ne sont pas toujours heureuses. Même quand elles ne contiennent pas d’inexactitude, ces interprétations allanguissent la narration, déjà trop chargée d’incidences. Il semble lire la version d’un écolier qui a transporté dans son français les définitions trouvées dans son dictionnaire. La manière d’Amyot ne se montre guère à son avantage que dans les anecdotes, et surtout dans celles qui ont une pointe de gaieté, comme la suivante :

« Il (Antoine) se mit quelquefois à pescher à la ligne, et voyant qu’il ne pouvoit rien prendre, si en estoit fort despit et marri à cause que Cléopatra estoit présente. Si commanda secrètement à quelques