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ANCIENS AUTEURS FRANÇAIS.

qui a fait comparer mille fois Horace à Virgile, Corneille à Racine, Rousseau à Voltaire, etc. ? Et l’histoire, qui est singulièrement indocile aux rapprochemens, ne lui fournissant pas à point nommé un grand homme romain qui pût faire le pendant d’un grand homme grec, et réciproquement, pour éviter que ses héros ne se trouvassent dépareillés, n’a-t-il pas été souvent réduit à de fâcheuses extrémités ? Passe pour Thésée et Romulus, Alexandre et César ; mais quel rapport peut-on trouver entre Périclès et Fabius Maximus, entre Marius et Pyrrhus ? Et n’est-ce pas se moquer que de comparer Cinna à Lucullus, parce que Cinna se changea de mal en bien, et Lucullus au contraire ?

Je sais qu’on a signalé un autre motif à ces rapprochemens de Plutarque, le désir d’élever les Grecs au-dessus des Romains, sentiment qui perce avec une injustice pardonnable, mais manifeste, dans l’écrit de Plutarque sur la Fortune des Romains. Mais, quoiqu’il en soit, il n’en reste pas moins établi que Plutarque est un rhéteur, et que ses deux ouvrages, les Œuvres morales dans leur ensemble, les Vies des Hommes illustres dans leur disposition, portent le cachet de la profession de l’auteur.

Or, qu’y a-t-il de moins naïf en soi qu’un rhéteur ? Comment concilier ce titre avec la réputation de simplicité, de candeur, qu’on a faite à Plutarque ? Faut-il donc l’attribuer tout entière à une contre-façon d’Amyot ? Faut-il renoncer absolument à dire le bon Plutarque ? Non, ce serait aller trop loin. Plutarque était rhéteur de son état, mais candide et simple de sa nature. Il avait à la fois un bel esprit et un bon cœur. Le désir de briller par les artifices du langage n’exclut pas la bonhomie dans les habitudes et la simplicité du caractère. M. Villemain nous a montré avec beaucoup de justesse Plutarque vivant dans une petite ville de Béotie, en dévot païen, se faisant initier aux mystères, remplissant les fonctions sacerdotales, curieux des antiquités et des traditions : il y avait de cet homme-là sous le rhéteur, et il ne faut pas l’oublier ; car, si le rhéteur écrivait, l’autre Plutarque dictait souvent.

C’était celui-ci qui se plaisait aux détails familiers, aux historiettes naïves et parfois puériles, qui racontait les prodiges et y croyait, qui, par exemple, interrompait la sanglante biographie de Sylla pour nous apprendre « qu’il y eut trois corbeaux qui apportèrent leurs petits devant tout le monde, et les mangèrent, puis en emportèrent les reliques dans leur nid ; et comme les souris eussent rongé quelques joyaux d’or qui étaient en un temple, les secrétains, avec une ratoire,