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LES PROVINCES DU CAUCASE.

montré des lettres de Chamyl écrites aux différens chefs des tribus ; ces lettres avaient été livrées par ceux même auxquels elles étaient adressées.

Quittant Akhti, je traversai le Samour en face de la forteresse, et j’entrai de nouveau dans la montagne ; je m’élevai graduellement pendant trois heures. Arrivé au point culminant de la route, j’embrassai une vue immense. À mes pieds étaient Akhti et les villages qui s’élèvent sur les rives du Samour. Le Schah-Dagh et les cimes environnantes bornaient notre horizon. Les montagnes que je venais de gravir étaient nues et arides ; quelques sources entretenaient seules un peu de végétation sur les terres qu’elles arrosaient. Je descendis lentement jusqu’au village de Kabir, situé au bord de la petite rivière, que je côtoyai pendant plus d’une heure. Ce versant de la montagne est riche en pâturages. Les habitans coupent le foin qu’ils réunissent en petites meules ; l’hiver, ils viennent le chercher et le transportent dans leurs villages sur des traîneaux légers. Nous suivîmes, après Kabir, les bords de l’Arakh ; des touffes de clématite et de vigne sauvage s’élevaient en berceau au-dessus de nos têtes ; parfois de beaux champs cultivés ou d’immenses pâturages donnaient à notre route, animée déjà par le mouvement des eaux, un charme d’autant plus vif, que nous venions de traverser des montagnes arides et rocailleuses. Je dus m’arrêter au village juif d’Arakhin. D’après l’organisation du service en Russie, les habitans sont tenus de fournir aux voyageurs des moyens de transport d’un village à l’autre. Dans tous les villages musulmans, aucun n’avait fait difficulté de nous amener ses chevaux, tous regardant cette obligation comme un devoir d’hospitalité. Les juifs furent loin de se montrer aussi dociles ; ne voulant pas employer le système russe, et forcer par la crainte les récalcitrans, je leur fis donner de l’argent, au grand mécontentement des musulmans de mon escorte, qui voulaient faire main basse sur les juifs qu’ils détestent. Ce ne fut néanmoins qu’après bien des pourparlers que j’obtins les cordes nécessaires pour attacher mes effets ; les juifs nous avaient amené leurs chevaux tout nus.

À mesure que nous approchions des bords de la mer Caspienne, la chaleur devenait plus lourde et plus malsaine. Je remarquai sur ma route beaucoup de villages juifs qui offraient à peu près le même aspect que les villages géorgiens. La vallée que nous traversions s’incline lentement vers la Caspienne. Malgré la fertilité du sol, le climat de cette vallée est très pernicieux. Laissant derrière moi les riches vergers qui environnent Koulara, je traversai une plaine presque de