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ANCIENS AUTEURS FRANÇAIS.

long-temps sans être réduit à gueuser. Une dame à qui il demandait l’aumône, le trouvant de bonne façon, le prit chez elle pour suivre ses enfans au collége et porter leurs livres. Le génie merveilleux pour les lettres que la nature lui avait donné, le fit profiter de cette occasion avec usure. Il étudia tant et si bien, qu’on le soupçonna d’être de la nouvelle opinion qui commençait d’éclater, inconvénient commun à tous les beaux-esprits de ce temps-là. Les perquisitions rigoureuses qu’on fit alors des premiers huguenots l’obligèrent à fuir comme beaucoup d’autres, tout innocent qu’il était, et à sortir de Paris… Amyot se retira en Berry chez un gentilhomme de ses amis, qui le chargea de l’éducation de ses enfans. Durant le temps qu’il y fut, le roi Henri II, faisant un voyage, logea par hasard dans la maison de ce gentilhomme. Amyot, étant prié de faire quelque galanterie pour le roi, composa une épigramme en vers grecs qui lui fut présentée par les enfans de la maison. Aussitôt que le roi, qui n’était pas si savant que son père, eut vu ce que c’était : « C’est du grec, dit-il en le jetant ; à d’autres ! » Il est aisé de juger, par le déplaisir qu’Amyot dut ressentir de cette action du roi, quelle fut sa surprise sur ce qui arriva ensuite. Michel de l’Hôpital, depuis chancelier de France, qui accompagnait le roi dans ce voyage, et qui ouït parler de grec, ramassa ce qu’il avait jeté, il lut l’épigramme et en fut surpris ; il prend Amyot par la tête, et, le regardant fixement, lui demande où il l’a prise. Amyot qui était encore dans la consternation où l’action du roi l’avait mis d’abord, lui répond en tremblant que c’était lui qui l’avait faite. Sa frayeur ne permit pas à M. de l’Hôpital de douter de sa sincérité. Comme il était grand connaisseur, il ne fit point de difficulté d’assurer le roi que, si ce jeune homme avait autant de vertu que de savoir et de génie pour les lettres, il méritait d’être précepteur des enfans de France. Le roi, qui avait en M. de l’Hôpital toute la confiance qu’il devait avoir, s’enquit du maître de la maison. Comme les mœurs d’Amyot étaient irréprochables, le gentilhomme lui rendit le témoignage qu’il méritait. Il n’y avait que le soupçon qui l’avait fait retirer en ce lieu qui pût lui nuire ; mais quand ce soupçon aurait été su, M. de l’Hôpital, qui était lui-même plus suspect qu’aucun autre, n’était pas pour s’en effrayer. Voilà l’affaire conclue. »

Et voilà une narration fort agréable à laquelle mille petits détails donnent un air de vérité, et qui cependant est fausse dans presque toutes ses parties, comme l’a montré sans peine le terrible Bayle, et comme les dates seules eussent suffi à le prouver sans lui. Passons sur le romanesque récit de la première enfance, récit dont rien ne