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ANCIENS AUTEURS FRANÇAIS.

en particulier Plutarque ; d’assez nombreuses versions des auteurs classiques sont mentionnées dans le curieux catalogue de la bibliothèque de Charles V, et c’est d’après ces versions françaises qu’ont été faites un grand nombre de traductions anglaises, comme le reconnaît Warton. Ainsi, le rôle de la France fut constamment de donner l’impulsion aux autres nations de l’Europe. Au moyen-âge, elle avait marché à la tête de la scholastique, elle avait semé au dehors les héroïques légendes de l’épopée chevaleresque et les joyeux récits des nobliaux ; au XVe siècle, elle répandait la connaissance des monumens antiques ; quand elle ne créait pas, du moins propageant, popularisant toujours, tour à tour levier et véhicule, elle ne cessa jamais d’être fidèle à sa mission et à son génie. Oresme avait traduit quelques ouvrages de Plutarque pour Charles V, et George de Selve publia la vie de huit hommes illustres en 1535, avant Amyot.

Amyot ne doit donc pas être considéré isolément, mais être rattaché à toute une famille de traducteurs français qui, depuis plus d’un siècle, avaient commencé à faire passer dans notre langue, et par elle dans les autres langues de l’Europe, les principaux auteurs grecs et latins. Amyot a été le plus célèbre de ces pionniers qui défrichèrent courageusement le terrain encore vierge de l’antiquité ; nul d’entre eux n’accomplit une aussi grande tâche que la sienne, mais nul ne fut aussi bien récompensé : Amyot a eu la fortune de son vivant, la renommée après sa mort, et aujourd’hui il se recommande encore à notre mémoire à la fois comme l’un des pères de notre langue et comme représentant la première intervention considérable des lettres antiques dans les lettres françaises.

Enfin, il y a une raison particulière de raconter la vie d’Amyot. Cette vie a été brodée d’évènemens imaginaires, d’aventures entièrement fabuleuses. Le candide et laborieux traducteur a été le héros d’une véritable légende que des écrivains sérieux ont répétée, et dont presque aucune biographie d’Amyot n’est entièrement exempte. Il était juste, ce me semble, d’appliquer une critique rigoureuse à ces récits qu’on croirait empruntés aux pages les plus crédules de Plutarque ; il convenait de faire quelque chose pour éclaircir la biographie de celui qui a transporté dans notre langue le plus curieux monument biographique de l’antiquité.

Amyot naquit à Melun en 1514. On ne s’accorde pas sur ce qu’était précisément la condition de ses parens, mais il est certain qu’elle n’était pas très relevée. Furent-ils bouchers ou corroyeurs, peu nous importe ; ce qui nous importe, c’est que leur fils ait traduit