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foi nouvelle. Mais, au sortir d’une existence et d’un entourage comme ceux qu’il nous a dépeints dans la première partie des Confessions, où prendrait-il tout à coup cette vertu sauvage, cette réaction ardente contre la société, cette passion de la vérité et de la liberté vers lesquelles nous le voyons, plus tard, aspirer de toutes les forces de son ame ?


« Jusque-là j’avais été bon : dès-lors je devins vertueux ou du moins enivré de la vertu. Cette ivresse avait commencé dans ma tête, mais elle avait passé dans mon cœur. Le plus noble orgueil y germa sur les débris de la vanité déracinée. Je ne jouai rien : je devins en effet tel que je parus ; et pendant quatre ans au moins que dura cette effervescence dans toute sa force, rien de grand et de beau ne peut entrer dans un cœur d’homme dont je ne fusse capable entre le ciel et moi. Voilà d’où naquit ma subite éloquence : voilà d’où se répandit dans mes premiers livres ce feu vraiment céleste qui m’embrasait, et dont pendant quarante ans il n’était pas échappé la moindre étincelle, parce qu’il n’était pas encore allumé. »

Confessions, seconde partie, livre IX, 1756.)


« Cette page et les deux qui suivent, combien de fois je les ai méditées ! J’y ai vu Jean-Jacques tout entier, se connaissant, se jugeant et se dévoilant lui-même comme aucun homme ne s’est jugé, connu et confessé. Que pourrait lui demander le moraliste exigeant, lorsqu’après avoir montré comment il devint puissant par l’enthousiasme, il cessa de l’être par lassitude et par douleur ? Certes, ce n’est pas là un homme qui se farde ou qui se drape : c’est un homme, un homme véritable, non pas tel que les hommes célèbres enivrés de leur supériorité consentent à se montrer, mais tel que Dieu les fait et nous les envoie. C’est un être sujet à toutes les faiblesses, capable de tous les héroïsmes ; c’est l’être ondoyant et divers de Montaigne, sensitive divine qui subit les influences délétères ou vivifiantes du milieu où elle s’élève, qui se crispe sous le vent et s’épanouit sous le soleil. Enfin c’est l’homme vrai, tel que la philosophie chrétienne l’avait en partie découvert et défini, toujours en butte au mal, toujours accessible au bien, libre et flottant entre les deux principes allégoriques d’un bon et d’un mauvais ange.

« Quand la philosophie et la religion de l’avenir auront étendu et développé cette définition, nous connaîtrons mieux nos grands