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FRANKLIN.

ment, et l’on en tire des conséquences que je suis sûr que vos constituans désavoueraient si elles arrivaient jusqu’à eux. »

Dans une autre lettre du 15 décembre, on trouve ces tristes paroles du comte de Vergennes mystifié : « Vous êtes prudent et sage, monsieur, vous comprenez parfaitement ce qui est dû aux convenances. Vous avez toute votre vie rempli vos devoirs, je vous prie de considérer comment vous avez l’intention de remplir ceux qui sont dus au roi. Je ne veux pas m’étendre sur ces réflexions, je les livre à votre propre intégrité ; quand vous voudrez bien m’ôter cette incertitude, je prierai le roi de satisfaire à vos demandes. » Ce à quoi Franklin répondit, avec le sang-froid de son adresse ordinaire, par les protestations les plus vives de reconnaissance et d’admiration pour le roi, avouant seulement qu’on avait été coupable d’un manque de bienséance, en concluant un traité séparé avec l’Angleterre. Le mot était bien doux et bien équivoque pour un fait si grave et si contraire aux promesses des États-Unis, et à leur dette morale envers le trône et la France. Le secrétaire des affaires étrangères pour le congrès américain, Robert Livingston, pensa là-dessus comme le comte de Vergennes, et écrivit dans ce sens à Franklin. La réponse de ce dernier indique naïvement tout le fond de sa pensée, et le peu de cas qu’il faisait de la France, tout en se prosternant devant M. de Vergennes. Il dit à Livingston : « Vous désapprouvez les commissaires qui ont signé le traité de paix avec l’Angleterre sans le communiquer à la cour de Versailles. Je ne vois moi, que les Français aient grande raison de se plaindre : rien n’a été stipulé à leur préjudice. Je pense qu’ils ne se sont pas officiellement plaints de cet acte ; si cela était, vous nous eussiez transmis cette plainte afin que nous y puissions répondre. Il y a long-temps que j’ai donné à M. de Vergennes pleine satisfaction là-dessus. Nous avons fait ce que nous avons cru pouvoir faire de mieux dans le moment, et si nous nous sommes trompés, le congrès aura raison de nous censurer après nous avoir entendus. En nommant cinq personnes pour cette affaire, il semble avoir eu quelque confiance en notre propre jugement, puisqu’il aurait suffi d’une seule personne pour traiter avec l’Angleterre sous la direction du ministère français. » C’est un chef-d’œuvre d’escamotage diplomatique que cette réponse qui laisse la question principale dans l’ombre. Le Talleyrand américain rejette la faute, s’il y en a une, sur ses associés ; il en réfère au congrès, c’est-à-dire aux États-Unis eux-mêmes, dans la personne de leurs représentans, pour décider si le roi de France a le droit de s’offenser et de