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avec ceux de la Grande-Bretagne… Vous verrez sans doute comme moi avec plaisir les nombreux avantages que nos alliés les Américains retirent des clauses de ce traité ; mais vous serez surpris, comme moi, de la conduite des commissaires, qui n’auraient certes rien dû faire sans notre participation. Telle était d’ailleurs la promesse positive du congrès. Le roi, comme je vous l’ai dit, ne prétendait exercer d’influence personnelle qu’autant que cela pouvait devenir nécessaire à ses amis ; les commissaires américains ne peuvent prétendre que je me sois interposé et moins encore que je les aie fatigués de ma curiosité. Ils se sont tenus à distance autant qu’ils ont pu. L’un d’eux, M. Adams, à son retour de Hollande, où notre ambassadeur l’avait accueilli et fêté, n’imagina pas qu’il me dût la moindre déférence ; il avait passé trois semaines à Paris sans venir me voir, quand je lui fis rappeler que j’existais. Pendant le cours des négociations, toutes les fois que je leur ai parlé de l’affaire, ils se sont contentés de me répondre par des généralités vagues, afin de me laisser croire que le traité n’avançait pas. Jugez de ma surprise quand, le 29 novembre, le docteur Franklin vint m’apprendre que les articles étaient signés, contrairement à la promesse verbale et mutuelle que nous nous étions donnée de ne signer qu’ensemble. Quelques jours après, quand il vint me voir, je lui fis remarquer que cette manière d’agir abrupte et personnelle n’était pas de nature à plaire au roi. Il parut le sentir et s’excusa de son mieux, lui et ses collègues. Notre conversation fut amicale… Si le roi avait montré aussi peu de délicatesse que les commissaires américains, il y a long-temps qu’il aurait signé avec l’Angleterre une paix séparée ; mais il a voulu que ses alliés fussent protégés par ses armes, et a continué la guerre, quelque avantage qu’il pût retirer de la paix… Informez les membres les plus influens du congrès de la conduite irrégulière des commissaires américains ; vous pouvez en parler simplement, comme d’un fait, et sans vous en plaindre. Je n’accuse personne, je ne blâme même pas le docteur Franklin ; il a cédé trop facilement à ses collègues, qui ne se sont pas mis à notre égard en frais de courtoisie. Toutes leurs attentions ont été absorbées par les Anglais qui se trouvaient à Paris. Si nous jugeons de l’avenir d’après ce qui vient de se passer sous nos yeux, je crois que nous serons mal payés de tout ce que nous avons fait pour les États-Unis et pour leur assurer une existence nationale… Les Américains nous demandent encore de l’argent : vous pouvez juger si une conduite semblable à la leur est de nature à nous encourager à leur donner des preuves nouvelles de notre libéralité. »