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« Nous avons une vieille mère qui est devenue quinteuse ; elle nous bat comme des enfans qui peuvent à peine marcher seuls. Elle oublie que nous sommes grands, et que nous pouvons penser par nous-mêmes ; — ce que personne ne peut nier, ne peut nier !

« Si nous n’obéissons pas à ses ordres, en toute circonstance, elle fronce le sourcil, et gronde, et se met en colère. De temps à autre même elle nous donne une bonne tape sur la joue ; — ce que personne ne peut nier, ne peut nier !

« Ses ordres sont si bizarres, que nous soupçonnons souvent que l’âge a un peu altéré son vieux bon sens. Mais, après tout, c’est notre vieille mère ; elle a droit à notre respect ; — ce que personne ne peut nier, ne peut nier !

« Supportons de notre mieux sa mauvaise humeur. Mais pourquoi supporterions nous les injures de ses valets ? Quand les domestiques font des sottises, on leur fait manger du bâton ; — ce que personne ne peut nier, ne peut nier !

« Quant à vous, mauvais voisins (les Français), qui voudriez séparer les fils de la mère, apprenez une chose, c’est qu’elle est toujours notre orgueil, et que, si vous l’attaquez, nous nous mettrons tous de son côté ; — ce que personne ne peut nier, ne peut nier !

« Nous prendrons son parti contre tous ceux qui lui feront la guerre pour lui ôter ce qu’elle a. Car nous savons que tout son bien, nous l’aurons quand elle s’en ira ; — ce que personne ne peut nier, ne peut nier ! »


Au surplus la sagacité de Franklin prévoyait, sans le dire, que les intérêts des deux pays nécessiteraient tôt ou tard une scission violente. « On aurait dû prendre, à la naissance même de nos colonies, dit-il, des précautions pour l’avenir. Nous ne l’avons pas fait ; il est trop tard, et notre situation me rappelle la fameuse tête du moine Bacon. Ce dernier, dit la chronique, avait formé le projet d’élever autour de la Grande-Bretagne un mur d’airain pour protéger l’éternelle sécurité de ce pays. La tête de bronze fabriquée par Bacon devait avertir frère Bungey, domestique du sorcier, et lui faire connaître le moment unique favorable à la fonte de la muraille. Mais Bungey s’était endormi. La tête parla et dit : Le temps est. Bungey dormait, toujours. Elle dit encore : Le temps était. Bungey dormait encore. Elle dit enfin : Le temps est passé. Et une explosion terrible renversa la maison sur les oreilles du dormeur. » Nous aimons à citer ces charmans apologues, la finesse de Franklin et sa grace de style y triomphent.


On le voit, les dix volumes de M. Sparks déshabillent de la tête aux pieds l’héroïsme et la sublimité de Franklin ; il ne reste plus grand’chose de cette simplicité presque divine qu’on lui a prêtée ; le