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atlantiques était formé, le mot United States était trouvé, la république fédérale existait en réalité, enfin la constitution américaine se trouvait en mouvement sans être écrite ; elle vivait, respirait et marchait, sans que l’on s’en aperçût ; l’émancipation n’avait besoin que d’être proclamée, quand la sottise des familles des propriétaires et l’entêtement de George III achevèrent l’œuvre. L’Angleterre déchira le voile d’illusion qui couvrait encore la colonie anglaise ; elle leva ses scrupules en l’outrageant. Washington et Franklin prirent cette cause en main. Dans l’explosion insurrectionnelle, ils représentèrent, l’un la prudence civile, l’autre le courage guerrier de leurs concitoyens. Il ne faut pas oublier que tout, avant eux, était fait ; instrumens de régularisation et d’organisation, ils eurent plus de sagacité que d’héroïsme, et plus de prudence que de génie.

L’époque des monarchies pures, époque transitoire, s’éteignait en Europe, et la monarchie mixte de l’Angleterre touchait à son zénith de gloire et d’opulence commerciale, lorsque Benjamin Franklin naquit, en 1706, à Boston, au moment même où la chevalerie achevait de mourir en Europe. La vie des habitans de Boston était sobre et régulière. Le quinzième enfant de cette famille pauvre aida son père dans les soins de la fabrication et du commerce, et tâcha d’acquérir un peu d’instruction, c’est-à-dire l’art de lire et celui d’écrire. Il rencontra dans un vieux tiroir de la boutique deux volumes dépareillés, l’un de Daniel de Foë, l’Essai sur les Projets, l’autre d’Adisson, un tome du Spectateur, et se mit à les lire avec délices à ses momens perdus ; il avait douze ans. Ces deux écrivains, qui ont une tendance commune, l’utilité positive de leurs semblables, et qui ont proposé à la société contemporaine une sorte de compromis habile entre la sévérité du devoir et l’élégance des mœurs, l’un et l’autre partisans d’une sévérité douce, d’une application mondaine des préceptes puritains, formèrent l’intelligence de Franklin et la pétrirent dans un moule semblable au leur. Lui-même, fidèle à la sagacité habituelle de son observation, il reconnaît cette généalogie de sa propre pensée, et l’indique dans ses mémoires. Le même jeune homme qui, soumis à une civilisation différente, eut écrit des sonnets dans l’antichambre d’une princesse ou une mauvaise tragédie chez un procureur, s’attacha résolument à la double recherche que lui indiquaient ses deux maîtres moraux, Adisson et de Foë. Il tendit vers une élégance de mœurs supérieure à son état, vers une instruction variée et une moralité délicate.

Cet apprentissage d’ascétisme philosophique commença par le