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importaient dans l’Amérique septentrionale, à travers les savanes et les forêts vierges, sous le tomahawk des sauvages et sous la dent des ours.

C’est là une miraculeuse progression de la destinée humaine et l’on ne peut qu’admirer la logique sévère qui domine les évènemens de ce monde. Telle cette nation nouvelle a été semée, telle elle pousse. Elle est née pour la liberté, par la liberté, avec la liberté ; elle vivra par la liberté. Elle est, dans son essence, rupture avec l’Europe, rébellion contre le passé, dédain et négation. Telle elle reste, telle elle sera. Protestante, critique, puritaine, bourgeoise, industrielle, industrieuse, faite pour le labeur, lui devant tout, lui demandant tout, elle emprunte au teutonisme sa vieille sève acharnée, la force, la volonté, l’activité et la colère implacable. C’est là sa vraie constitution. Croyez-moi, les constitutions qui ne sont qu’écrites ne vivent guère. Celles qui coulent avec le sang des peuples n’ont pas besoin qu’on les écrive. Ici le teutonisme est le germe ; le puritanisme le développe ; la résistance et l’opposition l’alimentent ; Locke et Shaftesbury lui donnent leurs soins. Vienne le moment favorable, les républiques transatlantiques ne manqueront pas d’éclore, et c’est là ce que nos pères ont vu ; c’est ce que nous voyons. Leur étonnement a été extrême, le nôtre ne l’est pas moins, l’inattention des hommes est incurable.

J’ai marqué sur ce berceau des États-Unis les dates importantes : 1633, 1638, 1673 ; l’émigration, la persécution, la législation. Peu d’années après cette dernière date, en 1682, un puritain fervent du Northamptonshire, nommé Josiah Franklin, fatigué de ne pouvoir prier à son aise, suivit le torrent de ses frères, et émigra pour la Nouvelle-Angleterre, emmenant avec lui une jeune femme et trois enfans. C’était une famille pauvre, laborieuse, croyante et habituée à braver le pouvoir. Elle en avait la tradition comme l’orgueil. Sous le règne de Marie Tudor, elle avait professé, dans sa cabane du Northamptonshire, les dogmes de Calvin. La bible calviniste était renfermée dans un vieux tabouret de chêne couvert de velours. Le soir, un des enfans se plaçait en vedette à la porte de la chaumière, pour avertir en cas de péril. Le grand-père posait le tabouret sur ses genoux, soulevait le couvercle, tournait les feuillets et faisait la lecture. La sentinelle annonçait la venue de l’appariteur ecclésiastique, chargé de dénoncer ces grands délits ; on refermait le couvercle, le tabouret retombait à sa place naturelle, chacun reprenait son travail, et l’appariteur ne voyait rien. Josiah Franklin, l’un des