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LES PROVINCES DU CAUCASE.

ne pas chercher à introduire des troupes dans leurs montagnes. Une fois, il avait failli devenir victime de sa confiance ; un montagnard, s’étant approché de lui lorsqu’il reposait sur un divan, lui avait tiré un coup de pistolet presque à bout portant ; la balle, traversant ses vêtemens, était venue s’amortir sur une ceinture de cuir. Les montagnards, voyant le coup manqué, s’étaient empressés de saisir l’assassin, qui, jugé suivant leurs lois, fut condamné à une amende, car il n’y avait que tentative de meurtre sans blessure. Le général lui fit grace ; le montagnard qui avait tenté ce coup hardi était un émissaire de Chamyl. Si le général Andrep eût été tué, la peuplade chez laquelle il se trouvait eût été forcée de prendre les armes, car les Russes auraient certainement cherché à tirer vengeance de sa mort. La tentative d’assassinat ayant avorté, grace à la mauvaise qualité de la poudre dont le pistolet était chargé, le général fut entouré de respects, et ne trouva plus que des visages amis dans la suite de son excursion parmi les montagnards.

Le choix des juges est d’une difficulté extrême dans les provinces du Caucase ; presque tous les habitans appartiennent à des associations ou tchoukoums ; le juge qui fait partie d’une de ces associations donne toujours raison aux membres de son tchoukoum contre ceux d’une autre association. Cet état de choses perpétue les haines et les rivalités ; les assassinats ne sont pas rares, et les enlèvemens sont un des crimes les plus communs : je vis à Zakataly cinq ou six montagnards mis en jugement pour avoir enlevé des femmes ou des jeunes filles.

Le général Andrep se plaignait vivement de l’administration civile que le baron de Hahn, sénateur de l’empire, est venu établir dans le gouvernement du Caucase. Jadis le gouverneur-général réunissait toute l’autorité militaire et civile ; depuis l’adoption du projet du baron de Hahn, il doit y avoir deux administrations distinctes et indépendantes. Les affaires civiles seront soumises à des juges et tribunaux créés dans les villes de district. Si elles excèdent une valeur de cent roubles (quatre cents francs), elles devront être soumises au tribunal de Tiflis, qui décidera en dernier ressort. Le général Andrep prévoyait que les lenteurs inséparables de ce mode d’aministration exciteraient le mécontentement des montagnards. Autrefois ceux-ci venaient se présenter devant les commandans militaires, demandant la solution de leur procès ; les deux parties exposaient leur différend, et quelle que fût la décision, elles l’acceptaient sans murmure. Les montagnards tiennent surtout à ce qu’un jugement soit rendu avec promptitude ; ils ont une répugnance très marquée pour les écrivains, et