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la librairie en Allemagne avant la découverte de l’imprimerie, car il y avait alors une librairie déjà fort bien organisée, tenant boutique et pubiant des catalogues. Il y avait même deux espèces de libraires : les librarii proprement dits, c’est-à-dire ceux qui faisaient ouvertement le commerce des livres, et les stationnarii, qui, sous un autre nom, exerçaient la même industrie et jouissaient des mêmes priviléges. Tous ceux qui n’avaient pas l’honneur d’appartenir à l’une de ces deux corporations, ne pouvaient vendre que des livres au-dessous de dix sols et n’avaient pas le droit d’occuper une boutique[1] : c’étaient les étalagistes d’aujourd’hui. En 1323, on comptait à Paris vingt-huit libraires. Quand l’un d’eux parvenait à rassembler dans son magasin cent ouvrages, il occupait une belle place parmi ses confrères. Aussi il y avait tel exemplaire de ces ouvrages, écrit avec art, enluminé avec patience, qui valait à lui seul bien des milliers de volumes tirés à la mécanique. De siècle en siècle, le commerce des livres s’accrut, les moyens matériels de les confectionner restaient à peu près les mêmes ; mais l’instruction se répandait parmi le peuple, et la prospérité des manuscrits montait d’échelon en échelon jusqu’à ce qu’elle dut être un beau jour renversée par cette si petite et si prodigieuse invention de la lettre mobile : En 1443, il y avait dans la petite ville de Haguenau un libraire qui annonçait dans un style de réclame que l’on dirait emprunté à nos journaux de 1841, des livres de toute sorte, grands et petits, religieux et profanes, et joliment peints (hübsch gemolt).

À la corporation des libraires se rattachait immédiatement celle des scriptores, des illuminatores, celle de tous les artistes, ouvriers ou savans, chargés de revoir le texte d’un manuscrit, de préparer le parchemin destiné à en faire la copie, de le renfermer dans un étui d’ivoire ou d’argent. On sait avec quel soin pieux les religieux du moyen-âge copiaient pendant de longues années le livre qui leur était confié, avec quel art plein de grace ils l’entouraient d’arabesques et de festons de fleurs. À chaque instant, les chroniques du temps parlent des manuscrits richement et grandement hystoriés, hystoriés de riches hystoires et enluminés bien richement. Dans d’autres, on énumère les précautions que l’on prenait pour conserver ces précieux manuscrits Estui de drap d’or ; chemise de drap semée de marguerites ; couverture en drap de satin, en escluyan, en damas, etc. Les princes amis des lettres ne se contentaient pas de rechercher et d’acheter en différens lieux les livres les plus brillans et les plus estimés, ils les faisaient eux-mêmes confectionner. David Aubert, en parlant de Philippe-le-Bon au commencement de la chronique de Naples, dit que ce prince avait « journellement et en diverses contrées grands clercs, orateurs, translateurs et écrivains, à ses propres gages occupés. » Le même écrivain cite la bibliothèque de la maison de Bourgogne comme la plus riche qu’il y eût au monde. En comptant les dépôts d’Anvers, Bruges, Bruxelles, Gand, elle renfermait, dit-il, plus de trois mille

  1. Nec sub tecto sedeat, dit Bulaeus.