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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

Les fabriques de constitutions reprennent courage, mais les ouvriers nous donnent toujours d’aussi mauvaises denrées qu’il y a quelques années, lorsque leurs travaux étaient tombés dans le discrédit. Le premier point, le point essentiel, c’est qu’une nation soit mâle, noble, sans égoïsme. S’il en est ainsi, les lois se formeront successivement d’elles-mêmes et prendront de la consistance. Quant aux formes constitutionnelles, elles ne produiront rien chez un peuple extravagant et sans vigueur. À quoi sert le système de représentation, si l’on manque d’hommes capables de représenter le pays ? Ici est le fruit, là est la racine. A-t-on jamais cueilli de bons fruits sur un arbre sans racines ? Que chaque homme et chaque gouvernement travaille donc d’abord à rendre le peuple fort, viril, intelligent, généreux. Vouloir en venir à ce résultat par les formes, c’est atteler les chevaux derrière la voiture, et penser qu’ils la tireront aussi bien. »

Dans le même temps, il jugeait ainsi la charte qui venait de nous être octroyée :

« La nouvelle constitution est une œuvre très intelligente, quoique le soin que les sénateurs ont pris d’eux-mêmes soit la chose la plus déhontée qu’on ait jamais vue. Cette constitution peut aisément assurer aux Français toutes les libertés qu’ils sont maintenant en état de supporter ; la question maintenant est de savoir si elle sera sérieusement mise à exécution. S’il en est ainsi, l’Europe doit se réjouir de voir cette liberté bourgeoise, durable, établie au milieu du continent entre l’anarchie insensée de la constitution espagnole et la monarchie absolue introduite en Hollande. »

Toute cette série d’occupations si sérieuses et si variées a, du reste, été très bien appréciée par M. de Golbery dans le travail biographique qu’il a joint à sa traduction de l’Histoire Romaine.

Au milieu de ses succès d’homme d’état et d’écrivain, de sa joie et de son repos domestique, Niebuhr fut tout à coup cruellement frappé par le sort ; il vit mourir, jeune et belle encore, sa femme, la seule femme qu’il eût jamais aimée. Il la pleura long-temps, il s’en souvint toujours, mais le bonheur même qu’elle lui avait donné lui rendit, quand elle fut morte, l’isolement affreux. Il se remaria et partit, avec sa nouvelle épouse, pour l’Italie ; il venait d’être nommé ambassadeur à Rome. Son séjour dans ce pays fut triste et pénible ; il arrivait dans le vieux Latium avec le souvenir des hommes héroïques qui l’avaient habité autrefois, et les grandes images du passé lui faisaient paraître le présent mesquin et vulgaire. D’ailleurs, autour de lui point de monumens scientifiques, point de vie littéraire ; des réunions cérémonieuses, des dîners officiels, l’étiquette du monde diplomatique, les entretiens futiles des salons, tout cela ne pouvait que déplaire à cet esprit élevé et sérieux. Aussi ne prend-il aucun soin de dissimuler ses impressions et sa tristesse, son ennui éclate à chaque page dans les lettres qu’il écrit de Rome à sa belle-sœur et à ses amis. Un jour il parle ainsi de la capitale du monde chrétien :

« La première impression que j’éprouvai en arrivant ici n’a pas changé, et