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à Kiel. Une fois les devoirs de sa place remplis, il rentrait dans le silence de sa retraite et reprenait ses livres. De temps à autre, cependant, les vagues désirs de la jeunesse viennent le surprendre dans son silence, les rêves de l’imagination l’arrêtent dans son travail, et alors il est curieux de voir comme cet esprit tenace et laborieux résiste à ces écarts de la pensée, comme il s’accuse lui-même de mollesse et s’excite à reprendre sa tendance sérieuse et son énergie.

« Je me suis, dit-il, souvent trouvé dans un état d’incapacité et d’éloignement pour toutes les nobles et laborieuses occupations, qui m’a rendu très malheureux ; car j’éprouvais alors un sentiment de faiblesse, de décadence qui me déchirait et me torturait le cœur. Il y a des hommes qui ressentent aussi une inégalité humiliante dans l’exercice de leurs facultés intellectuelles. Tel travail qui les charmera un jour et leur paraîtra facile à accomplir, ne leur inspirera d’autres fois que de l’éloignement et leur semblera inexécutable. Mais ce n’est pas encore là cette mollesse sans bornes, cette absence d’idées dont j’ai souvent honte. Ce mal ne tient donc pas à l’organisation fatale de certaines natures ; il s’est glissé et enraciné en moi par une infortune particulière ou par ma faute. Pour s’en délivrer, il faut nécessairement remonter son origine, en arracher avec force les germes, et prendre à tâche de les détruire. Dans l’oisiveté presque constante, dans les rêveries sans fin de mes premières années d’enfance, je ne pouvais naturellement pas faire cette réflexion, et alors le mal dont je me plains se développa, grandit et devint difficile à vaincre. Je m’étais habitué à détourner mon attention de tout objet sérieux, à prendre tout avec une égale indifférence sans réfléchir à rien. Mon ciel était dans le monde des chimères ; les rêves et le charme que j’y trouvais remplissaient ma pauvre ame. Plus tard la vanité, le désir de me faire un nom, commencèrent à me donner le goût des occupations plus graves ; mais le poison qui était dans mon cœur m’empêcha d’entrer entièrement dans cette nouvelle voie. Ce fut dans l’hiver de 1790 que le mal que je viens de décrire m’apparut pour la première fois. Alors il ne souffrait aucune résistance, et j’abandonnai les travaux qui m’inspiraient en d’autres momens un vif attrait. Combien de jours, de semaines se passèrent dans les deux années suivantes sans études sérieuses ! Au printemps de 1792, le désir d’apprendre à fond l’italien fut le seul que je poursuivis avec zèle et que je parvins à réaliser. L’hiver suivant, je fis une tentative meilleure, mais elle manquait encore de ce but déterminé qui fait vaincre tous les obstacles. J’errais de côté et d’autre et ne m’attachais qu’à l’apparence des idées. À Hambourg, j’éprouvai au plus haut degré cet état d’atonie. En 1794 et 1795, je le sentis plus vivement encore à Kiel. Il y avait alors pour moi un contraste douloureux entre les espérances brillantes avec lesquelles je commençais ma carrière et les efforts que je faisais pour la suivre. Les dernières semaines de mon séjour à Copenhague, le temps que j’ai passé dans le Holstein, m’ont appris à connaître entièrement mon état. Le remède à cette maladie est de s’éloigner de tous les vains rêves de l’imagi-