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d’observer à loisir notre pays, il ne se laissera point prendre à la surface mobile des choses comme ses compatriotes qui viennent ici passer quinze jours puis s’en retournent en toute hâte mettre à l’œuvre la presse et s’écrient dans une foule de réclames : Prenez et lisez ; toute la France est dans ce volume. Il n’étudiera point, comme cela est arrivé à un assez grand nombre d’Allemands qui, par la crainte d’être lourds, s’efforçaient d’être frivoles, il n’étudiera point nos hommes d’état et nos écrivains au point de vue de la coupe de leur habit et de la couleur de la cravate, et si jamais il pouvait se laisser aller à la fantaisie de travestir en feuilletons épigrammatiques, en silhouettes grotesques, comme MM. Bonstetten, Wolf et autres observateurs de même force, le tableau de nos mœurs et de nos idées sociales, il sacrifierait bien maladroitement l’avenir d’un travail sérieux au plaisir de distraire, de par-delà l’Elbe ou la Sprée, quelques lecteurs oisifs, le soir, au milieu d’un nuage de tabac. Non, il est temps que ces deux grands pays si voisins de l’autre, si bien faits pour s’allier, apprennent à se connaître, non plus par quelques côtés fugitifs et trompeurs, mais par leur vraie nature individuelle et leur mission sociale. C’est cette pensée de rapprochement, d’association des deux peuples, qui a inspiré les deux derniers écrits de M. Venedey, et c’est par-là surtout qu’ils nous ont intéressé.

Dans la première de ses brochures, écrite en français et d’une façon assez correcte pour prouver que l’auteur a fait une étude particulière de notre langue, M. Venedey examine nos idées d’alliance avec l’Angleterre et n’a pas de peine à démontrer, ce dont nous venons d’avoir une preuve assez flagrante dans la question d’Orient, l’impossibilité morale et matérielle de cette alliance. Puis il examine l’état de l’Allemagne, et à côté des chancelleries princières où l’on garde un vif ressentiment de la révolution de juillet, à côté de cette Allemagne officielle qui se défie de nous et prend à tâche seulement de voiler sous des phrases ambiguës sa défiance et son mauvais vouloir, il nous peint l’Allemagne intelligente et libérale, l’Allemagne forte et progressive qui tourne les yeux vers nous, nous suit de ses vœux dans toutes nos tentatives et nous garde toutes ses sympathies. Seulement il ne faut point menacer cette Allemagne, il ne faut pas lui redemander une partie de ses provinces. Nous voilà de nouveau revenus à cette perpétuelle question du Rhin. C’est comme ce clocher de Woodstock, dont parle Walter Scott, que l’on rencontrait toujours par quelque sentier que l’on arrivât. Mais M. Venedey prend son sujet de haut et fait de notre réserve en ce cas et d’un système de paix bien ferme et bien arrêté, une immense question d’ordre social et de civilisation.

« La France et l’Allemagne, dit-il, sont appelées à devenir les deux colonnes d’une nouvelle sainte-alliance, de l’alliance des peuples, de l’humanité. Et cette guerre que les uns provoquent, que les autres semblent ne pas savoir éviter, détruirait pour long-temps encore la possibilité d’une alliance entre la France et l’Allemagne, qui seule pourrait conduire à la sainte-alliance de toute l’humanité.