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PHILOSOPHIE DE M. BUCHEZ.

l’homme individuel ; ce n’est point une de ses facultés, ni rien qui émane de lui… C’est la loi de la fonction humaine, la morale enfin. »

M. Buchez abonde en démonstrations de toutes sortes pour établir que c’est là le véritable criterium de la certitude. Il soutient d’abord que la morale nous est connue (révélée) avant toute autre chose, et qu’on doit considérer « comme des modes supérieurs d’activité ceux qui, dans l’ordre des temps, ont précédé les autres. » Il ajoute que l’homme a toujours connu la morale ; que, même dans l’ordre logique de l’enchaînement des sciences, elle précède l’ontologie ; que la morale est l’unique principe qui nous détermine à agir, et que nos facultés resteraient, sans elle, complètement et radicalement inactives ; que les réformes politiques entreprises d’un point de vue social ont toujours été heureuses, tandis que les utopies fondées sur un point de vue scientifique ont échoué misérablement. La plupart de ces prétendues preuves roulent sur la même équivoque ; la morale a toujours été connue, elle précède l’ontologie, si par morale on entend le principe même de la morale, c’est-à-dire la loi du juste et de l’injuste, que chacun trouve gravée au fond de lui-même. C’est la base nécessaire de la morale, mais ce n’est pas toute la morale. La morale est une science très compliquée et très difficile, à laquelle on travaillera encore long-temps, et sur laquelle probablement on disputera toujours. Loin de précéder la métaphysique, elle en est la conséquence la plus directe et la plus immédiate. La distinction du point de vue social et du point de vue scientifique dans les réformes politiques est inintelligible pour tout le monde, probablement sans aucune exception. Prétendre que les enfans ne commencent à agir que sous l’empire de la loi morale, c’est ignorer ce que tout le monde sait, que les enfans sont les égoïstes par excellence. Enfin, comment peut-on nous dire que le monde a toujours connu et nécessairement connu la morale, tandis qu’en combattant l’idée rationnelle du bien moral chez les éclectiques, on soutenait que les hommes appellent bien ce qui leur convient, et qu’ils ont varié cent fois dans l’appréciation de ce qui est bien ? Comment peut-on affirmer que les enfans ont l’idée de bien et de mal moral avant de comprendre le sens des mots, tout en adoptant ailleurs l’opinion de Condillac, que l’homme ne peut penser sans les mots ? N’est-ce pas là un système qui tient bien sur ses pieds ? Et n’est-ce pas aussi une idée heureuse, de juger par la morale la vérité d’un axiome de mathématique ou d’une démonstration d’astronomie ? M. Buchez fait une application très curieuse de sa théorie à