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PHILOSOPHIE DE M. BUCHEZ.

et prétend que M. Cousin la rapporte à Descartes ; c’est une erreur, M. Cousin la fait, avec raison, remonter beaucoup plus haut ; et personne si ce n’est M. Buchez, n’a jamais pu prendre Descartes pour un éclectique. M. Buchez sait-il bien ce que c’est qu’un éclectique ? Quoiqu’il ait parfois étudié l’éclectisme, ainsi qu’il nous l’apprend, dans les cahiers des élèves de l’École normale, il ne s’est pas borné à ces philosophes de dix-huit ans et il a eu recours aux sources. Il a lu Reid, comme on peut le soupçonner à quelques-unes des erreurs historiques dans lesquelles il est tombé ; il a lu M. Royer-Collard ; il a lu M. Cousin ; il a puisé dans leurs livres cette haine contre l’éclectisme, qui lui fait oublier les convenances jusqu’à attaquer le caractère personnel de ses adversaires ; comment donc se fait-il que, dans une réfutation de plus de cent pages, le principe de la méthode éclectique ne soit pas même énoncé ? Pour employer une expression de M. Buchez, ceux qui « ne sauront de philosophie que ce qu’ils trouveront dans son livre, » pourront croire, entre autres choses, que l’éclectisme consiste uniquement à commencer par la psychologie l’étude de la philosophie. C’est sur ce point que roule toute la discussion, et ce que M. Buchez attaque, c’est ce qu’il lui plaît d’appeler la souveraineté du moi. M. Cousin a pu dire en effet que sa philosophie continuait celle de Descartes, parce que le cogito ergo sum contient en germe, non pas l’éclectisme assurément, mais la méthode psychologique. M. Buchez accorde jusqu’à un certain point cette filiation. « Descartes cherchant un principe de la certitude, dit-il, concède que l’on puisse d’abord douter de tout, excepté d’une seule proposition, je pense, donc je suis ; car il répugne de croire que ce qui pense n’existe pas dans le moment même où il pense… Si Descartes, ajoute-t-il, n’avait écrit que ces phrases, on aurait raison de dire qu’il est le véritable père de l’éclectisme. » Cela étant, M. Buchez nous permettra de réclamer cette paternité pour saint Augustin. Voici en effet ce qu’on lit au XXVIe chapitre du livre XI de la Cité de Dieu : « Je suis très certain par moi-même, sans fantôme et sans illusion, que je suis. Et je ne redoute pas ici les argumens des académiciens, je ne crains pas qu’ils me disent : Mais si vous vous trompez ? — Si je me trompe, je suis ; car on ne peut se tromper, si l’on n’est. Ainsi, puisque je serais toujours, moi qui serais trompé, quand il serait vrai que je me tromperais, il est indubitable que je ne puis me tromper lorsque je crois que je suis. Il suit de là que quand je connais que je connais, je ne me trompe pas non plus, car je connais que j’ai cette connaissance, de la même manière que je connais