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le plus indépendant qui fut jamais, entreprit de chasser de sa croyance toutes les opinions qu’il avait reçues jusqu’alors, et de ne plus rien admettre que sur l’autorité de ses propres lumières, il mit à part les vérités de la foi comme dans une arche sainte. On n’est pas obligé, pour philosopher, de renier la foi ; mais, tant qu’on la prend pour guide, on n’est pas encore entré dans le domaine de la science : où commence la liberté, commence la philosophie. Qui peut douter que la vraie théologie et la vraie philosophie ne s’accordent ? Si la théologie pénètre trop avant dans les profondeurs de la nature de Dieu pour que la raison puisse la suivre, la raison s’arrête et se tait, car elle ne peut rien nier ni rien affirmer en son propre nom de ce qui est au-dessus d’elle. Si la révélation se borne aux vérités les plus importantes, et livre le reste du monde à nos disputes, la raison s’étend dans ce vaste domaine, qu’elle seule a le pouvoir d’étudier ; mais quand la science et la foi s’appliquent légitimement aux mêmes objets, la séparation subsiste, et l’une déclare au nom de Dieu ce que l’autre s’étudie à découvrir à force de tâtonnemens et de recherches. Vous craignez que votre raison ne fasse fausse route, et qu’arrivé par la réflexion à des conclusions contraires au christianisme, vous ne veniez à perdre la foi ? Partout où il y a liberté, il y a des chances d’erreur. L’église vous défend sans doute d’avoir comme philosophe des opinions différentes de vos croyances comme chrétien ; si vous refusez de vous borner à la théologie, ou de croire avec bonne foi et simplicité ce qu’enseigne l’église ; si la science vous tente, si vous voulez penser par vous-même, libre au point de départ, libre le long du chemin, il est toujours temps d’abdiquer votre liberté et de renoncer à la philosophie. Souvenez-vous seulement que, philosophe pendant que vous êtes libre, au moment de la soumission vous cessez de l’être. Confondre le commentaire d’un dogme révélé avec la recherche de la vérité, l’apôtre avec le philosophe, la parole divine avec la sagesse humaine, ce n’est faire les affaires ni de la foi ni de la raison ; vous croyez avancer peut-être, et vous reculez plus loin que le moyen-âge.

L’intention de M. Buchez est, dit-il, d’opérer une réforme en philosophie ; mais la philosophie dont il parle, la philosophie au point de vue du catholicisme et fondée sur la révélation, c’est la théologie, et la théologie ne se réforme pas. Quant à la science humaine, celle qui cherche la vérité librement et par le seul secours des lumières naturelles, celle-là a grand besoin d’un réformateur sans doute, et même elle en aura toujours besoin, car c’est sa destinée