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DU GOURVERNEMENT REPRÉSENTATIF.

dernière extrémité, celle d’un vote systématiquement hostile. Si elle voulait faire davantage, elle ne pourrait manquer de se heurter et de se briser contre une volonté plus forte que la sienne.

En rappelant ces vérités élémentaires, je ne crois pas le moins du monde faire injure à la chambre des pairs. Dans la machine politique comme dans toute autre machine, chaque rouage a ses fonctions spéciales et son utilité déterminée, ce qui n’empêche pas tous les rouages d’être également nécessaires. Le mal serait de les confondre et de vouloir les appliquer tous au même usage. Tant que la chambre des pairs consentira à rester dans le rôle qui lui est assigné par la nature de nos institutions et par la force des choses, elle y sera forte, utile, respectée. Ces avantages ne lui échapperaient que le jour où, par un sentiment de rivalité mal entendue, elle voudrait imiter la chambre des députés et jouer le même rôle qu’elle.

Supposez maintenant que, comme M. de Carné le propose, la chambre des pairs fut élective, et voyez ce qui en résulterait. De deux choses l’une : ou la chambre des pairs serait nommée par les électeurs qui nomment la chambre des députés, ou elle le serait par des électeurs qui représenteraient d’autres idées et d’autres intérêts. Dans le premier cas, vous avez une chambre unique en deux fractions ; dans le second, vous créez au sein du gouvernement une lutte sans terme et un désordre permanent. Une chambre qui doit son pouvoir au choix royal ou au privilége de la naissance, comprend en définitive que la représentation directe du pays ne peut s’incliner devant elle, et doit à la longue faire prévaloir sa pensée et sa volonté. Si elle ne le comprenait pas, il y aurait des moyens constitutionnels de terminer la lutte et de rétablir l’harmonie. Mais entre deux chambres toutes deux élues et directement représentatives, quel peut être l’arbitre, et qui aura le dernier mot ? Chacune ne pourra-t-elle pas prétendre qu’elle est l’expression légale des vœux du pays, et qu’il lui est interdit de céder ? Le gouvernement représentatif ainsi entendu, c’est l’anarchie organisée.

Il est, à la vérité, tel mode d’élection qui, en affaiblissant dans la chambre des pairs le caractère de représentation directe, diminuerait les inconvéniens et les dangers que je signale : il manquerait toujours cependant le dernier moyen constitutionnel de rétablir l’harmonie entre les deux chambres, le moyen dont lord Grey fut autorisé à se servir en 1832 pour faire passer le bill de réforme. Ce moyen sans doute doit être rarement employé, mais il est nécessaire qu’il existe, et qu’on le sache.