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En vérité, c’est faire aux fonctionnaires une condition trop dure, trop abaissée, et je ne sais à ce prix quel homme honorable voudrait servir le gouvernement.

Qu’on creuse le sujet tant qu’on le voudra, et on arrivera toujours à une double impossibilité, celle de renouveler tous les deux ou trois ans le personnel de l’administration, celle de maintenir son influence en déconsidérant ses agens. La conséquence, c’est que, malgré toutes les circulaires et tous les ordres du monde, les fonctionnaires, quels qu’ils soient, bornent leur action politique à combattre les partis ennemis du gouvernement lui-même, ceux qui n’ont aucune espèce de chance d’arriver régulièrement au pouvoir ; c’est qu’ils restent au contraire à peu près neutres entre les partis constitutionnels que le jeu des institutions appelle successivement au ministère. Ainsi, par la force des choses, se réalisera une théorie fort contestée et fort contestable à titre de théorie politique, mais dont l’application peut seule donner au pays une administration stable et considérée ; j’ajoute qu’il en résultera pour tous les partis la nécessité de ne compter que sur eux-mêmes, et que c’est là un progrès qui, plus que tout autre, doit fortifier et vivifier l’esprit politique.

De tout ce que je viens de dire, faut-il conclure avec quelques écrivains que le gouvernement représentatif soit impossible en France, et qu’il ne puisse se maintenir qu’à condition d’être dénaturé ? Pas le moins du monde. Il faut conclure seulement que le gouvernement représentatif en France n’est point encore arrivé à sa maturité, et qu’avant de s’être mis en harmonie parfaite d’une part avec l’état social et les mœurs, de l’autre avec la législation, il a encore bien des expériences à faire et des épreuves à subir. Ce n’est pas du premier coup que le gouvernement représentatif en Angleterre est arrivé au point où nous le voyons aujourd’hui, et plus d’une fois, pendant le courant du dernier siècle, ses plus fervens admirateurs ont pu douter de sa puissance et de sa vitalité. Or, quand l’aristocratie anglaise a mis cent cinquante ans pour compléter son œuvre, il n’est pas fort étonnant que la classe moyenne française n’ait pas achevé la sienne en moins de vingt-cinq ans. Au lieu de répéter, à chaque embarras nouveau qui se révèle, que « décidément le gouvernement représentatif n’est pas fait pour ce pays-ci, » qu’on sache donc se demander si cet embarras est accidentel ou fondamental, transitoire ou permanent. Dans le premier cas, qu’on en prenne son parti et qu’on laisse faire le temps ; dans le second, qu’on cherche soigneusement, consciencieusement à résoudre le problème, à remédier au mal. Pour