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du barreau ou de la médecine, que l’on embrasse à son entrée dans la vie, et dont on attend son existence et celle de sa famille. Il serait donc souverainement injuste d’interrompre ou de briser cette carrière chaque fois qu’une opinion politique enlève à l’autre le pouvoir. Aussi, en dépit de toutes les théories, le corps des fonctionnaires, à l’exception d’un petit nombre d’hommes politiques qui entrent et sortent avec leurs amis, reste-t-il précisément le même, quel que soit le ministère. De là, pour plusieurs de ces fonctionnaires, pour ceux qui participent jusqu’à un certain point à l’action politique, une situation délicate et fâcheuse. Si, fidèles à leur opinion, ils se placent franchement dans l’opposition, il en résulte le relâchement de tous les liens hiérarchiques, et l’affaiblissement du pouvoir dans un temps où les liens hiérarchiques sont déjà si peu solides et où le pouvoir a besoin de toute sa force. Si, plus fonctionnaires que députés, ils prêtent successivement leur appui à tous les ministères, il s’ensuit pour eux-mêmes, pour la chambre dont ils font partie, la plus déplorable déconsidération. Les fonctionnaires dont je parle se trouvent donc obligés de naviguer entre deux écueils également dangereux, et, quelle que soit leur dextérité, il est bien difficile qu’ils ne touchent pas l’un ou l’autre. Ce n’est point à eux qu’il faut s’en prendre, mais à la situation qui leur est faite, situation tellement fausse, que les plus habiles et les meilleurs n’y peuvent échapper entièrement.

Comment sortir de là, et par quel moyen guérir un mal si profondément enraciné ? Cela, je le sais, est fort difficile, et quand avec un des ministres actuels on a dit « qu’il y a quelque chose à faire, » on n’est pas beaucoup plus avancé. Il me semble pourtant que la première de toutes les opérations devrait être un classement méthodique et raisonné des fonctionnaires publics. Ainsi, il y a des fonctionnaires purement politiques qui tout naturellement entrent et sortent en même temps que l’opinion à laquelle ils appartiennent. Il y a des fonctionnaires administratifs et judiciaires qui peuvent sans inconvénient et sans désordre conserver à l’égard de tous les cabinets la plénitude de leur indépendance. Il y a enfin des fonctionnaires mixtes, en quelque sorte, dont les fonctions ne sont pas assez exclusivement politiques pour qu’on puisse exiger d’eux, à chaque crise ministérielle, le sacrifice de leur état, pas assez exclusivement administratives et judiciaires pour qu’une opposition décidée et systématique de leur part n’introduise pas au sein même du pouvoir un élément de trouble et de désorganisation. De ces trois catégories, les deux premières, à des titres divers, sont très bien placées dans la chambre.