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l’on se dit et ce que l’on doit se dire dans un pays où l’éducation politique manque, où l’esprit d’association est faible, où l’idée de hiérarchie existe à peine. Il en résulte qu’à la seule pensée d’une majorité et d’une opposition organisées et systématiques, la conscience se révolte, l’amour-propre souffre, et que, par un mélange de bonnes et de mauvaises raisons, la confusion se maintient.

Ce n’est pas tout, et il y a au fond même des choses, et indépendamment des préjugés personnels, des difficultés non moins sérieuses. On parle beaucoup de l’incohérence et de la complication des institutions et des lois de l’Angleterre. On a raison, si on descend aux détails et à la lettre ; on a tort, si on s’arrête à l’ensemble et à l’esprit. Quand on étudie avec quelque soin les institutions et les lois de l’Angleterre, on ne peut manquer de voir qu’elles découlent d’une même source, qu’elles tendent vers un même but, et que, malgré une foule d’anomalies plus apparentes que réelles, elles sont coordonnées dans une même pensée. Cette pensée est celle du gouvernement parlementaire, sous la direction prépondérante de l’aristocratie. En France, au contraire, il y a cinq ou six gouvernemens superposés l’un à l’autre, et dont chacun a laissé des traces dans les institutions et dans les lois. De ces gouvernemens, les plus puissans, les plus vivaces, sont sans contredit la monarchie administrative telle que l’empire l’avait fondée, et la monarchie constitutionnelle telle que l’ont établie 1814 et 1830. Or il n’est pas toujours facile de faire vivre ces deux monarchies en bonne intelligence et de les mettre d’accord. Quoi que l’on fasse pour les concilier, de leur coexistence il naît sans cesse des conflits à régler et des problèmes à résoudre. Parmi ces conflits et ces problèmes, j’indiquerai brièvement ceux qui me paraissent le plus dignes d’attention.

La loi du gouvernement représentatif, il faut toujours le répéter, c’est que les opinions politiques se classent et se disputent la majorité dans les chambres et dans le pays ; celle qui obtient la majorité prend le pouvoir : elle le perd, et devient à son tour opposition, le jour où la majorité lui échappe. Sur ce point, tout le monde est d’accord en France comme en Angleterre ; mais il s’en faut que dans les deux pays les conséquences soient les mêmes. En Angleterre, rien de plus simple et de mieux réglé d’avance. Comme les partis existent dans le pays, chacun avec sa clientèle propre et ses moyens d’attaque et de défense ; comme de plus le gouvernement, à titre de gouvernement, n’a presque point d’influence et que le nombre des fonctionnaires qui relèvent et dépendent de l’autorité centrale est très peu