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absorber paisiblement par l’aristocratie que de risquer, en la combattant, d’être entraînées dans sa ruine.

En Angleterre, je le répète, le gouvernement représentatif est né de l’aristocratie et vit par elle. C’est tout le contraire en France, où, depuis bien des siècles, la royauté et le peuple se sont souvent unis contre l’aristocratie, jamais le peuple et l’aristocratie contre la royauté. Aussi, quand à la fin du dernier siècle la tutelle royale pesa aux classes moyennes, ces classes n’hésitèrent-elles pas à se mettre à la tête du peuple pour abattre, non la royauté d’abord, mais l’aristocratie, qu’elles considéraient comme leur véritable ennemie. C’est, on le sait, contre l’aristocratie que furent dirigés les premiers coups, les coups les plus sûrs de l’assemblée constituante. Dans les grandes et terribles luttes qui suivirent, un roi périt, mais non la royauté. L’aristocratie, au contraire, était morte avant qu’un seul aristocrate eût succombé. À vrai dire, c’est là le caractère commun de tous les essais de constitution royale, républicaine ou impériale, qui se succédèrent avec tant de rapidité. Despotiques ou libres, ces constitutions concoururent toutes à poursuivre jusque dans les recoins les plus cachés de nos institutions et de nos lois tout ce qui pouvait y rester encore d’élémens aristocratiques ; et quand la vieille race royale reparut en 1814, elle trouva l’œuvre si bien faite, que force lui fut de l’accepter et de la consacrer. Quelques années plus tard, à la vérité, une tentative eut lieu, tentative timide et incomplète, pour jeter de nouveau dans la société française quelques germes aristocratiques. Mais cette tentative échoua de tout point. Depuis, d’ailleurs, est survenue la révolution de 1830, qui, en effaçant de la constitution et des lois les dernières apparences aristocratiques, a tranché définitivement la question. Aujourd’hui, quoi qu’on en puisse dire, la prépondérance en France appartient sans contestation aux classes moyennes, c’est-à-dire à tout ce qui, dans la nation, sait et peut, par l’intelligence et le travail, s’élever à l’aisance et conquérir l’indépendance. C’est là le résultat le plus certain de nos cinquante années de révolution.

À Dieu ne plaise que je songe un instant à me plaindre de ce résultat ! Je l’accepte au contraire comme heureux, comme salutaire, comme glorieux pour mon pays. Tout en l’acceptant ainsi cependant je ne puis méconnaître qu’il n’apporte dans la pratique du gouvernement représentatif quelques difficultés sérieuses. Si les aristocraties, même éclairées et ouvertes, ont pour les peuples qu’elles dirigent de notables inconvéniens, elles ont aussi, on ne peut le nier, de grandes