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DU GOURVERNEMENT REPRÉSENTATIF.

pays ; mais la majorité de la chambre des communes appartenait à chambre des pairs, qui gouvernait ainsi indirectement et par procuration.

On peut prétendre, je le sais, que tout cela était vrai avant le bill de réforme et ne l’est plus aujourd’hui ; cependant il faut se garder de prendre l’apparence pour la réalité. Depuis le bill de réforme, il est incontestable que l’Angleterre offre le spectacle tout nouveau d’un ministère qui se maintient à l’aide de quelques voix de majorité dans la chambre des communes malgré l’opposition systématique et permanente des deux tiers de la chambre des lords. Mais outre que la chambre des lords, composée en majorité de pairs nommés depuis soixante ans, ne représente peut-être pas exactement l’aristocratie du pays, il faut se demander encore à quoi tient cette situation et combien de temps elle durera. Or, si l’on va au fond des choses, on voit d’une part que l’aristocratie whig n’est guère moins attachée à ses prérogatives que l’aristocratie tory ; de l’autre, que chaque année, depuis le bill de réforme, cette dernière gagne du terrain, et qu’aux prochaines élections son triomphe n’est pas douteux. Ainsi, des deux fractions de l’aristocratie anglaise, la plus libérale, celle qui a fait le bill de réforme, est à la veille d’être vaincue avec ses propres armes et sur son propre terrain. N’est-ce pas une preuve évidente que le gouvernement appartient pleinement encore à l’aristocratie ?

Voilà pour le gouvernement. Quant à la société au milieu de laquelle le gouvernement existe, personne n’ignore à quel point l’élément aristocratique l’a envahie et pénétrée. La propriété, l’église, l’administration, l’armée, la justice même, tout en Angleterre est organisé de manière à donner à l’aristocratie une autorité immense et une prépondérance décisive. C’est à peine si, depuis le bill de réforme, quelques pierres se sont détachées de cet édifice si solide et si complet. Maîtresse presque absolue dans les campagnes, l’aristocratie anglaise ne l’est sans doute pas autant dans les villes, surtout dans les villes manufacturières. Là, elle rencontre de vives résistances et se voit sans cesse menacée par une démocratie ardente et turbulente. Mais cette démocratie ne serait en état de remporter la victoire que si les classes moyennes se mettaient franchement à sa tête. Or, les classes moyennes imprégnées elles-mêmes d’idées et de sentimens aristocratiques, paraissent peu se soucier jusqu’ici du dangereux honneur qui leur est offert. D’une part, la démocratie les effraie par ses violences ; de l’autre, l’aristocratie est toujours prête à leur ouvrir ses rangs. Elles aiment donc mieux en définitive se laisser