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conquis séparation absolue et radicale. Le peuple conquérant alors commandait ; le peuple conquis obéissait ou s’insurgeait, et chacun restait dans son camp. Mais le jour où les Saxons, définitivement soumis, n’eurent plus l’espoir de recouvrer leur indépendance, il ne tarda pas à se manifester au sein même du peuple vainqueur, entre le roi et la noblesse, une scission et une lutte dont le peuple vaincu profita, en faisant acheter tantôt à l’un, tantôt à l’autre, son concours et son appui. Néanmoins c’est à la cause de la noblesse surtout que le peuple lia la sienne ; c’est par la noblesse et le peuple réunis que s’opérèrent toutes les grandes conquêtes du droit commun et de la liberté depuis la grande charte de Jean-Sans-Terre jusqu’à la fameuse pétition de 1628, et jusqu’au bill des droits de 1688. À vrai dire, dans toutes ces luttes, du moins jusqu’aux Stuarts, la bourgeoisie, ailleurs si puissante et si considérable, ne joua jamais le premier rôle. Pendant les XIVe et XVe siècles, les villes et bourgs se défendaient encore d’envoyer des députés au parlement. Pendant le XVIe siècle, une portion importante de la classe moyenne, les légistes, étaient les auxiliaires ardens et systématiques de la prérogative royale contre la prérogative parlementaire.

Vers la fin du règne d’Élisabeth, et sous Jacques Ier, les dissidens, qui appartenaient en général à la bourgeoisie, commencèrent pourtant à apporter dans la chambre des communes un esprit nouveau et à y parler un langage inaccoutumé. Pendant la révolution, ils en devinrent les maîtres, et pour quelque temps l’aristocratie sembla disparaître de la scène politique. Mais à cette époque même, les idées aristocratiques, sinon les personnes, continuèrent à exercer sur les affaires une très grande influence. La preuve, c’est que les fiers républicains qui coupaient la tête d’un roi et proclamaient le règne de l’égalité, laissèrent en paix le sol, et ne touchèrent que faiblement aux institutions auxquelles l’aristocratie devait toute sa puissance. Aussi, la bourrasque une fois passée, l’aristocratie ne tarda-t-elle pas à reprendre ses avantages et à faire de nouveau sentir sa vieille prépondérance. Ce fut elle qui dirigea le mouvement de 1688, et qui mit la couronne sur la tête de Guillaume. Ce fut elle qui, sous les règnes suivans, tint le gouvernement en ses mains. Sous George II, M. de Carné le remarque, la chambre des communes, par voie de nomination directe ou d’influence, était devenue en quelque sorte une annexe de la pairie. À titre de pouvoir électif, la chambre des communes, dès cette époque, avait nominalement la part la plus active et la plus considérable dans le gouvernement du