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gouvernement représentatif pourrait réellement descendre, selon l’expression de M. de Carné, à n’être plus qu’une table de jeu où de petits groupes, pressés derrière quelques joueurs, parieraient pour les uns ou pour les autres, selon la fantaisie du moment et le vent de la fortune. Alors aussi il ne faudrait pas s’étonner, pour parler encore comme M. de Carné, que des tentatives hardies jusqu’à la témérité aboutissent à des résultats mesquins jusqu’au ridicule.

Assurément une telle situation, si elle existe, est déplorable, et l’on ne peut trop s’affliger de voir les passions personnelles prévaloir à ce point sur les intérêts généraux. Pour être juste, il faut pourtant convenir qu’il est des temps plus favorables que d’autres à cette altération du gouvernement représentatif. Le gouvernement représentatif, on ne doit pas l’oublier, donne aux opinions et aux partis le moyen de se produire et de lutter régulièrement ; mais il ne crée ni les opinions ni les partis. Quand il y a dans les uns et dans les autres épuisement et confusion, il est donc naturel que les ambitions, plus à l’aise, se donnent plus librement carrière, et que les questions de personnes jouent un rôle excessif. Or, c’est là, sous quelques rapports, notre situation actuelle. Pendant les années qui ont précédé et celles qui ont suivi la révolution de 1830, le gouvernement représentatif a fonctionné en France aussi bien qu’en Angleterre. C’est qu’alors il y avait entre des idées et des intérêts considérables une dissidence sérieuse et un véritable combat. Dans les années qui ont précédé 1830, c’était la lutte organisée, systématique, ardente, de la monarchie constitutionnelle contre l’ancien régime, et des classes moyennes, dans l’acception la plus large du mot, contre l’aristocratie. Après 1830, c’était la lutte de la monarchie constitutionnelle contre la république et des classes moyennes contre une démocratie turbulente. De là, aux deux époques, des partis sérieux, sincères, et qui offraient chaque jour à la discussion un terrain solide et nettement défini. Chacun alors, selon ses opinions ou ses tendances, était forcé de se ranger dans l’un ou l’autre des deux camps ; mais, en 1834 et 1835, la république a été vaincue, comme l’avait été l’ancien régime en 1830. La monarchie constitutionnelle et les classes moyennes sont donc restées maîtresses du terrain, maîtresses comme on l’est après une lutte longue et pénible, c’est-à-dire presque sans contre-poids. Alors les vieux cadres se sont brisés, sans que de nouveaux se soient formés, et le pêle-mêle a commencé. Deux questions pourtant étaient restées, celles de la puissance parlementaire à l’intérieur et de la dignité nationale à l’extérieur, questions graves, qui, nettement po-