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chaises, un gardien fut mis à ma disposition, et je pus aller à la chasse sur les bords de l’Arpatchaï ou visiter les remparts extérieurs de la forteresse que l’on construit. Après huit jours d’observation, je reçus un courrier de Tiflis : il m’apportait un ordre du général Golavine, qu’on exécuta en me mettant en liberté.

Les Russes ont donné à la forteresse de Goumri le nom d’Alexandropol. Construite sur un immense développement, elle est destinée à contenir douze mille hommes de troupes et de vastes magasins de dépôt. En cas de marche de l’armée russe contre la Turquie, Goumri servirait d’hôpital et d’arsenal. Si Ibrahim-Pacha se fût avancé sur Constantinople, Goumri devenait le centre de l’armée d’opération. La citadelle est à une verste de distance de la ville. Habitée presque exclusivement par des Arméniens, Goumri ne peut communiquer que difficilement avec la Turquie à cause des longues quarantaines, et le peu de sécurité des routes concourt encore à rendre la situation de cette ville peu avantageuse au commerce. Les bazars nouvellement construits ne contiennent que des marchandises russes, en petite quantité. Les officiers et les soldats faisant partie de la garnison seront tous logés dans la forteresse lorsqu’elle sera terminée ; les travaux de terrassement et l’intérieur des casernes sont encore inachevés. Les officiers se plaignent du vent des montagnes, qui, soulevant des flots de poussière, rend la position de la forteresse à peine tenable pendant l’été, déjà si court. Ce n’est qu’au mois de mai qu’on peut commencer les travaux de terrassement, qu’il faut suspendre au mois d’octobre. Durant le reste de l’année, l’hiver règne, et le séjour de Goumri est aussi triste que monotone. L’Allaghez, dont la cime est couverte de neiges perpétuelles, s’élève à peu de distance de la ville. La nudité des bords marécageux de l’Arpatchaï ajoute à l’action du voisinage des montagnes. Aussi la ville de Goumri est-elle une des positions les plus froides de la Géorgie.

La distance de Goumri à Tiflis est de deux cent cinquante kilomètres. Je montai dans un chariot de poste et traversai au galop un pays coupé par des bois et des torrens. Je ne remarquai que la misère et la saleté des relais, où l’on ne peut trouver un abri pendant le temps perdu à changer de chevaux et à placer les bagages d’un chariot dans un autre. Je vis des paysans mis en réquisition par les autorités russes pour la réparation des routes. Ces hommes ne sont pas payés, et la durée de leur travail dépend du bon vouloir des officiers qui les dirigent. Je m’indignai de la facilité avec laquelle on sacrifie les plus beaux arbres, que l’on coupe à une hauteur de trois